31 décembre 2012

Japonisme : この世 - konoyo - ce monde ici-bas


Je termine l'année un peu à la bourre dans mes projets photos. Ils vont donc se poursuivre sur le mois de janvier, avec un rattrapage des thèmes que j'ai zappé ou mis de côté.
Cette semaine, voici un mot japonais bien philosophique : この世, konoyo : ce monde ici-bas.

Crépuscule

C'est ici que l'on vit, sur cette planète.
Avec cette atmosphère dans nos poumons, la terre sous nos pieds.
La même terre où que l'on soit, et l'univers, suspendu, avec ses corps célestes, ses mystères et son infinie complexité, juste au-dessus de nos crânes.

Le Yin et le Yang

Lumière intérieure


Ici-bas. C'est là que nous sommes.
Pour une vie. Incroyablement fugace, juste un clin d’œil au regard des temps géologiques. Un clin d’œil et, pourtant, si précieux et si unique.


Dans la brume

Les arbres ont tout compris...

J'ai grandi sans croyance.
Juste avec des certitudes scientifiques, sans religion ni foi. À quatre ans, j'ai interrogé ma mère sur la mort. Que se passe-t-il quand on est plus là ? Elle m'a répondue, fidèle au précepte de Françoise Dolto, que l'on meurt lorsqu'on a terminé de vivre. Dubitative et inquiète, je lui ai demandé ce qu'il y avait exactement, quand la vie était finie. Qu'est-ce qu'il se passe, concrètement ? Est-ce qu'on revient ? Face à cet épineux problème, j'ai trouvé une réponse adéquate : « après ma vie, je serai une chouette et je m'installerai dans le bois en face de la maison. » Après un instant de réflexion, j'ai ajouté : « Et toi aussi, maman, tu seras une chouette. Avec papa aussi. Et on vivra dans la forêt, là, juste à côté. »

Cellule

Star way

Pluie de soleil


En final, si je doute sérieusement que je revienne sur cette terre incarnée en chouette, ma conception de la vie n'a pas vraiment évoluée.
Elle est dans le lien d'amour et de tendresse que l'on tisse, au fil des rencontres, au fil des choix et de ses engagements. Je ne crois pas à un après fait de pardon, de jugement ou de rédemption. Ni trompettes ni flammes. Pas de transmigration. Juste une décomposition, un retour à la terre des particules, des énergies qui se ré-incorporent à l'impalpable de la vie.
Je crois cependant que l'on meurt comme on vit.
Si on vit en accord avec soi-même, avec des intentions altruistes qui visent le bonheur, si on fait de son mieux pour être heureux, pour rendre heureux les autres, on laisse un souvenir, une trace heureuse.


Ici et là...

Si la patience savait parler...

Si je devais mourir demain, je serai triste de l'inachevé, mais rien n'est éternel et l’impermanence est l'apanage de la vie. Je n'aurai pas de regret. Je suis heureuse. Alors, si je meurs demain, je mourrai heureuse.
En attendant, je profite pleinement du monde ici-bas, je joue avec ses mots, ses lumières. J'éprouve aussi un grand plaisir à partager avec vous, ici, mes découvertes, mes interrogations, mes inquiétudes et mes passions.


Au bout de la ligne, l'éternité

Un vœux

Je vous souhaite de profiter de cette dernière journée de l'année. Aussi unique et particulière que toutes les autres de votre vie.

Japonisme est une projet réalisé en collaboration avec Anne (trouveuse de mots magiques) et Virginie

26 décembre 2012

Protection, une fanfic sur la série Sherlock : chapitre 24 !


Liste des chapitres : 01 - 02 - 03 - 04 - 05 - 06 - 07&08 - 09 - 10&11 - 12 - 13&14 - 15 - 16 - 17 - 18&19 - 20 - 21 - 22&23 - 24 - bonus - épilogue

Voici pour bien finir l'année le dernier chapitre de Protection.  Ce n'est pas tout à fait la fin. Je suis en train d'écrire un "bonus" qui paraitra la semaine prochaine, histoire de terminer l'année en beauté ! Et, il y aura aussi un p'tit épilogue.

Si vous ne connaissez pas excellentissime série de la BBC "Sherlock", voici un article pour commencer.


Chapitre 24


C'est un peu bizarre d'être ici.
Les murs verts et bruns donnent un aspect bourgeois et un peu distant à la pièce. Outre le certificat d'obtention de la ceinture noire de Judo du Kodokan, rédigé en japonais, il y a quelques photos dont une, un petit format d'un gamin obèse, derrière la porte est accroché le tableau périodique des éléments – comme s'il ne le connaissait pas par cœur – et des babioles, probablement d'une valeur inestimable sont exposées dans des vitrines. La chaîne stéréo est d'une grande qualité même s'il écoute rarement de la musique sans mettre le casque. Je l'ai entendu quelques fois quand il m'oublie et met le volume à tue-tête avec un concerto contemporain dissonant.
Sa chambre est plus personnelle, plus intime que la mienne, strictement fonctionnelle.
J'ai peu de souvenirs matériels de ma vie d'avant l'armée. Rien gardé de mon enfance, ni de mes études. Je trie méthodiquement et jette le superflu. Quand j'ai emménagé ici, je n'avais qu'une grosse valise et quelques cartons. J'ai amassé en un an et demi avec Sherlock plus de choses que durant le restant de ma vie. Et, quand je suis parti, meurtri et seul, j'ai abandonné aux ordures beaucoup de mes possessions, renouant avec un confort spartiate et simple. J'avais déjà trop d'images qui m’encombraient la tête et dont je ne pouvais me détacher facilement. Je ne suis pas d'une nature nostalgique, les objets inanimés n'ont pas d'âme...

Pourtant, je me sens bien ici, dans la chambre de Sherlock.
On dirait un sanctuaire.
J'ai cette impression tenace d'être un privilégié, d'avoir pénétré sa façade lisse et pénible du génie misanthrope et insensible. Pénétré. À tous les sens du terme. Quoi qu'il en dise, je sais que ses expérimentations en matière de sexualité n'ont pas été jusque là, en tout cas, pas avec un autre être humain. Ses hésitations sont touchantes et là encore, j'ai une conscience aiguë du cadeau qu'il m'offre.
Mycroft avait raison. Vivre avec Sherlock déchire le voile de la réalité et le champs de bataille apparaît nu, dans sa monstruosité fascinante.
Il ne reste qu'à participer !
Et dans ce chaos, méthodique et imperturbable, Sherlock navigue et apporte un ordre, une cohérence, des relations de cause-conséquence qu'aucun autre que lui n'aurait pu décrypter...


Source : http://society6.com/viverella

L'approche expérimentale appliquée de Sherlock s'étend à tous les domaines. Il intellectualise, pose des questions même dans les moments les plus inopportuns. Pourtant, c'est tellement lui. Ça ne me gêne pas. Pour être tout à fait franc, son langage direct, cru sans être vulgaire, m'excite même. Dans ma vie privé, je suis d'un naturel casanier. Pour le sexe, c'est pareil. Je suis du genre à me limiter à ce qui plaît à ma partenaire sans forcément chercher à me contenter pleinement. Depuis que je fréquente aussi des hommes, même si ça a toujours été plus sporadique et jamais avec une relation suivie, j'ai découvert que le sexe pouvait être plus ludique, moins... conservateur. Même si je reste très traditionnel, surtout en comparaison à certain de ceux que je connais, j'ai appris à m'écouter plus. À demander.
Sherlock lui, n'a aucune pudeur, aucune limite. Il teste, verbalise son inconfort et son plaisir. Il souhaite arriver à un échange pleinement satisfaisant pour les deux parties. Je ne l'aurai pas cru si altruiste. Je découvre avec merveille ce nouvel aspect de son caractère qui m'avait échappé. Je comprends aussi que mes craintes sur son intérêt pour ma personne – qui m'avait paru soudain – est réel, profond. Il ne se force pas à quoi que ce soit. Il ne couche pas avec moi pour que je ne soit pas avec un autre – même si, le connaissant, c'est certainement aussi une des raisons. Mais pas la principale.
Je ne sais pas pourquoi ça a changé entre nous, je sais juste que ça me convient. À lui aussi, à tous les deux.
Le reste ne mérite pas que je m'y attarde.

Alors, quand il me plaque sur le lit avec force et désir, je le laisse me chevaucher sans plus m'inquiéter. Il n'est pas maso. Et dans ses yeux pétillants, un océan de plaisir m'invite au voyage. Il se mord un peu la lèvre inférieure, concentré. J'essuie du pouce un filet de salive avant de glisser le doigt contre ses dents. Il ouvre la bouche. J'aimerai qu'il me prenne. Je lui ai dit. Mais pour l'instant, il ne se sent pas prêt pour être plus actif. À demi-mot, je saisis sa crainte de ne pas être à la hauteur, et pire, de faire mal.
Je ne suis pas pressé. Le temps venu, je serai bien parvenir à mes fins. Et, aux vues de sa motivation et de son zèle, je n'aurai pas à entendre des mois pour mon désir soit assouvi.

Le voir ainsi, sur moi, une main sur mon torse, l'autre presque refermée, en train de se caresser, est le spectacle le plus bouleversant. Je pourrais jouir, juste à le regarder. Sa peau a la texture du marbre, veinée de bleu. Même les ecchymoses sur ses côtes sont belles. Je lui effleure l'arrête de la mâchoire.
Il me sourit.
En moi, je sens monter un geyser de plaisir, brûlant. Torrentiel.
Sur moi, Sherlock combat, recule le moment où il ne tiendra plus. Bataille pour conserver les yeux ouverts. Alors que ses mouvements deviennent plus saccadés, qu'une urgence sourde se lit dans tout son corps, je pose ma main sur la sienne et prends le relais.
C'est immédiat.
Juste quelques va-et-vient. Et je l’accompagne avec une violence peu commune.

C'est comme si un barrage avait cédé. Je me sens à la fois vidé et plein. À neuf. Comme si le sang et les os à l'intérieur étaient renouvelés. Si une force extérieure quasi-mystique m'avait rafraîchi de l'intérieur. Pourtant, quand j'ouvre les yeux, son corps avachi sur le mien, que je regarde ma main tendue, c'est la même chair. Les mêmes cicatrices. Les mêmes marques du temps. Mais à l'intérieur, à l'intérieur, quelque chose est différent.
Je ne comprends pas. J'ai trouvé une quiétude en moi. Un calme. Une sensation à la fois de sérénité infinie et de grand bonheur. Je ne savais pas. Je ne savais pas que je pouvais ressentir aussi fort. Je ne comprends pas l'émotion qui m'étreint. Ce n'est pas grave.
Sherlock me regarde, silencieux. Et je sais, en mon âme et conscience, que lui comprend. Ça me suffit.


Une maigre lumière blafarde pointe son nez par les deux fenêtres de la chambre. Hier, je ne me suis pas préoccupé de tirer les rideaux, trop occupé par des activités plus... intéressantes. Je n'ai aucune idée de l'heure qu'il peut bien être.
Et je m'en fous.
Royalement.
De toute façon, on est samedi. Barts se passera très bien de ma présence. Dans la nuit, Sherlock a encore réussi à s'approprier tout le matelas. Il dort en boule, exactement au milieu, ne me laissant qu'une portion congrue. Juste assez pour ne pas tomber du lit. Je n'ai pas fait de rêve, ou je ne m'en rappelle pas. C'est parfait ainsi.
J'hésite à me lever.
D'habitude, à peine les yeux ouverts, je suis déjà debout. Ce matin, j'ai envie de flemmarder. Je me cale contre le corps nu à mes côtés et somnole dans une tranquillité matinale douce. Sa chambre est moins bruyante que la mienne qui donne sur la rue. On y dort mieux.
Sherlock finit pas s'agiter. Il ouvre un œil. Me contemple surpris. Baragouine un truc totalement intelligible. Il n'est pas vraiment cohérent avant son thé du matin. Je ne peux m'empêcher de sourire devant sa mine fripée de sommeil et vaguement déconfite. Il grogne. Déglutit. Avale plusieurs grandes goulées d'oxygène avant de réussir à articuler :
— Je suis désolé ! J'ai dormi.
Je le regarde médusé.
— Oui... D'un autre côté, c'était la nuit. Ton lit, ta chambre. Où est le problème ?
J'assiste à la laborieuse mise en fonction de son cerveau. C'est un privilège rare que de le voir ainsi passer d'un stade semi-végétatif à son habituelle vivacité acérée.
— Je veux dire, ça ne t'as pas gêné que je reste ici la nuit entière ? J'étais vraiment épuisé.
Je lui ébouriffe sa tignasse déjà bien en pétard.
— Gros bêta.
Un baiser sur le front et un sur ses lèvres pour désamorcé la moue boudeuse déjà dégoupillée.

Je m'étire et m’apprête à me lever. Il me ceinture d'un geste maladroit trahissant son état pas encore tout à fait opérationnel.
— Attends.
Je ne me fais pas prier et le laisse s'installer contre mon torse. Je glisse une main sous sa tête et l'attire plus près.
— Comment te sens-tu ?
Il me jette un regard de pitié comme si j'étais vraiment débile de lui demander cette évidence.
— Pas réveillé.
Je reformule.
— Ton popotin. Ça va ? Pas de douleur ?
La nuit a été assez... passionnée. Parfois, en pleine action, avec le corps saturé d'endorphines, la frontière entre douleur et plaisir est perméable. Je veux vérifier qu'il aille bien. Au pire j'ai de la crème pour le soulager.
Il me sourit, dévoilant toutes ses dents. Une mimique assez drôle avec ses yeux encore bouffis et ses boucles brunes en bataille.
— Ça tire un peu. Rien de méchant.
— Bien.
— John, à propos de cette histoire de contraintes à notre collocation...
— Oui ?
Sa voix me paraît incertaine et je crois que la fatigue n'y ait pour rien.
— Moi aussi j'aimerais bien mettre une règle.
— Je t'écoute.
— Disons qu'il s’agirait plutôt de réciprocité. Vu que ton intimité me concerne et que j'ai donc mon mot à dire, j'aimerai que toi aussi tu sois impliqué.
Je le regarde sans vraiment comprendre où il veut en venir.
— Je veux bien respecter ton intimité, tes affaires. J'aimerai que tu respectes les miennes aussi.
Là, les yeux ronds, je ne capte vraiment plus rien. Sa main glisse sur mon torse. Visiblement, il essaie de faire des couettes avec mes poils...
— Considérant que nous avons une relation, une liaison même, en plus de notre partenariat de travail, d'un genre particulier je l'avoue, que nous vivons ensemble en collocation avec un partage des pièces communes mais aussi de nos chambres, nos intimités sont donc très mêlées, au sens propre comme au figuré ; or je tolère très mal tout corps étranger qui envahit mon espace, donc le tien. Par conséquence, par respect pour moi, je te demande de ne ramener personne d'autre que moi dans ta chambre et dans ton espace personnel.
Quelle belle démonstration. Je me retiens de rigoler, et je le serre plus fort.
— Sherlock, si tu veux me demander de ne pas coucher ailleurs, sache que j'ai toujours été fidèle dans mes relations. Même quand elles n'ont été qu'épisodiques. Déjà parce que ça limite les risques sanitaires et surtout, j'ai déjà tellement de difficultés à en entretenir une que je ne vais pas jongler avec plusieurs.
— Même tes partenaires masculins ?
— Ils se comptent sur les doigts d'une main. Et si leurs mœurs sont différentes des miennes, me savoir bi n'a pas changé ma conception des relations entre deux êtres humains.
— Ok. Tu me promets alors ?
Ah, je me doutais qu'on arriverait là. Je savais qu'à vivre de nouveau avec lui, j'abdiquais toutes mes chances d'avoir une once de vie privée pour le restant de mes jours. J'échange avec bonheur ma solitude sèche et stérile contre ce quotidien là. Au moins, avec Sherlock, je ferai des économies en restau, fleurs et chocolats. Il a des goûts simples. Pour lui faire plaisir, il suffit de parcourir assidûment les pages «faits divers » des journaux et lui trouver le meurtre le plus sordide, le plus bizarre.
— Oui, Sherlock. Je donne à ma voix un accent faussent solennel. Je te promets une fidélité totale et absolue tant que tu ne te remets pas à fumer où à consommer des médocs sans discernement.
Il me fusille du regard.
— Tu te fous de ma gueule ?
— Oui.
S'en suit une séance de lutte qui s'achève par un baiser et un Sherlock totalement réveillé, même sans son thé. Je me lève enfile mon pyjama et fait mes exercices quotidiens d'étirements pour mon épaule. Sherlock sort de la chambre à poil avant que je n'ai pu lui râler dessus.
De la cuisine, j'entends le cri de Mrs Hudson suivi d'une remarque sur un ton réprobateur de Sherlock. Il revient dans la chambre, vaguement penaud, me toise, prend sa robe de chambre, l'enfile dans un geste théâtral et sort sans même l'attacher, les pans voletants derrière lui.
Nouveau cri de Mrs Hudson.

Home sweet home.

L'épilogue  et pour les curieux, le bonus !






source : http://whodyathink.deviantart.com/art/2B-or-not-2B-221B-316089966?offset=20
source : >_< pas trouvée ! Si vous l'avez, merci de me laisser un commentaire !

24 décembre 2012

Un Noël blanc dans l'étang !


Dehors, la température s'accorde peu à la saison, et pourtant, c'est bien Noël !

Je vous souhaites à tous de passer de très bonnes fêtes, entourés d'amour. C'est la seule chose qui ne s'achète pas et c'est la plus précieuse à inviter autour de sa table.

Je vous laisse en compagnie des jolies décorations hivernales merveilles de ma belle-maman.
Ça brille, ça scintille.
Quelques branche du sumac de son jardin coupées et agrémentés avec soin.

Voici un bien joli arbre de Noël original et simple.




Et, pour la route, voici le plus heureux de l'affaire ! Parce qu'à Noël, il y a plein de monde donc plus de main pour se faire grattouiller, au chaud, au coin du feu.


20 décembre 2012

Japonisme : 夜の部屋 - yoru no heya - chambre nocturne



夜の部屋, yoru no heya, chambre nocturne.

À Paris.

Quand tombe la nuit, tu éprouves toujours ce plaisir coupable de regarder, par la fenêtre, la vie des autres. Observer l'intérieur d'un inconnu, sa décoration qu'on aperçoit juste, fragmentaire, diffuse derrière un voile de coton.

Des plafonds, des moulures.
Des embrasures.
Des livres au murs, des croûte horrible que tu ne voudrais jamais chez toi.
Mais voilà, c'est chez un autre.

Dans la pénombre, dissimulé dans l'anonymat de la rue, tu lèves le visage, tu contemples des différences, l'altérité infinie. Parfois, luxueuse, parfois, vétuste et dans une misère absolue.
Autant de vies et d'intimités inaccessibles. Une envie de voyeurisme, d'être une petite souris, pour observer un peu comment cela fonctionne ici. Voir les gens vivre dans un foyer, voir une autre normalité.

Juste en levant les yeux. Toutes ces fenêtres éclairées offre un panel d'humains. La diversité.





À Tokyo, la nuit tombe tôt, vers 19 h en été.

Un court crépuscule nimbe la ville de ses lumières de discothèque et déjà, partout la nuit s'étend. Les noren sont accrochés aux portes des izakaya et aux multiples petits restaurants de quartiers pour signifier leur ouvertures. Dans les hautes tours d'affaires, les lumières s'éteignent une à une.

Très vite, le noir domine, juste percé ici et là par les néons multicolores. Les zones commerçantes vivent à toutes heures, leur éclairage crient leur envies festives. Tu t’arrêtes pour grignoter une patate à l'étal d'un marchand de rue.

Tu quittes les grandes artères, à l'abri des maison bases, toujours séparées par ces espaces vides, protections antisismiques qui sont autant de zone vides d'humain, juste fréquentées par les chats.
Des zones de ténèbres absolues.
Et puis, dans le dédale pentu calme et silencieux, un combini. Tu reconnais la franchise juste aux couleurs de l'enseigne.

L'intimité au Japon résonne avec encore plus de mystères, plus d'attrait. Tu connais la rigueur du masque social. Tu sais que dans ces chambres, dans le cercle de la famille, à l'intérieur, la vie est différente.

Ici aussi, tu ne perçois que des bribes étrangères, derrière les vitres, dans la nuit. Les différences.
Pourtant, nous sommes tous des humains.

Japonisme est une projet réalisé en collaboration avec Anne (trouveuse de mots magiques) et Virginie

19 décembre 2012

Protection, une fanfic sur la série Sherlock : chapitre 22 & 23 / 24


Liste des chapitres : 01 - 02 - 03 - 04 - 05 - 06 - 07&08 - 09 - 10&11 - 12 - 13&14 - 15 - 16 - 17 - 18&19 - 20 - 21 - 22&23 - 24 - bonus - épilogue

Nous voici arrivé presque à la fin de l'histoire !  Je tiens à remercier tous ceux qui la lisent. Surtout, n'hésitez pas à me laisser des  petits commentaires, c'est très encourageant !

Si vous ne connaissez pas excellentissime série de la BBC "Sherlock", voici un article pour commencer.


Chapitre 22


Je me penche, juste pour lui enlever le verre de la main. Il penche la tête, dubitatif. Je l'attrape par le poignet, fermement :
— Viens par là.
Son regard est curieux quoique toujours distrait. Le bref échange avec Lestrade semble l'avoir déboussolé. Mais il se relève quand même, et me suit sans rien dire. Je l’entraîne vers l'escalier. Dans ma tête, il y a le vide de l'océan.

Un grand blanc qui reflète l’abîme du ciel.
Immense.
J'ai l'impression que mon estomac s'auto-digère, qu'un trou noir naît dans mes tripes. Je sens l'angoisse batailler avec l'attirance. Alors, à mi-chemin, je m’arrête. Une marche nous sépare. Assez pour être juste à sa hauteur. Me noyer dans son regard. Et les océans se fondent.

Ses mains sont nouées derrière ma nuque. Il n'y a plus que sa bouche, le goût boisé du Sherry et son arôme de noisette. Un grand blanc dans la tête. Et le reste du corps en fusion. Le silence tranquille est juste troublé par le ronronnement urbain. Et puis, il a le bruit organique de notre échange. Le gémissement étouffé, timide de Sherlock. Sa respiration saccadée. Et toujours, son regard, cette fois totalement focalisé sur moi. Que sur moi. Il me chuchote :
— Je ne te savais pas si passionné...
— Tu n'as encore rien vu...
Il laisse échapper un petit rire très sexy et sa main droite glisse entre nous.
— C'est moi qui te mets dans cet état ?
— Idiot. Oui c'est toi. Tu crois quoi, que c'est d'avoir vu Mrs Hudson ?
Sa langue coupe court à ma réplique. Ça nous prend un peu de temps pour arriver jusqu'à ma chambre. Il a perdu son peignoir en cours de route. Je ferme la porte. Et je vérifie qu'elle est bien fermée.
Après, en un temps record, je me déshabille. Sherlock me regarde, toujours dans son bas de pyjama. Avec une lenteur calculé, il s'assoit sur le lit, tire les draps et se dénude. Vaguement, je me souviens avoir voulu discuter d'un truc avec lui. Vérifier un truc...
— John ?
Sa voix a des accents d'incertitude en total contradiction avec la franchise de son regard, sa posture fière, séduisante. Bon sang, j'ai tellement envie de lui. Envie d'être avec lui. En lui aussi.
Soudain, je suis là, juste devant lui. Comme par magie. Je ne me souviens pas d'avoir bougé. Mes hésitations s'envolent comme de la cendre sous le vent. Je sais ce que je veux. Il le sait aussi. Il le veut aussi. Le reste on s'en cogne.

Le lit grince un peu sous notre poids combiné. C'est la première fois qu'il reçoit quelqu'un d'autre de moi. Je n'ai jamais ramené personne ici. Par égard pour Sherlock, ou Mrs Hudson. Ou, peut-être par égard pour moi. Cette chambre est un lieu intime, fonctionnel. Liée à ma vie avec Sherlock. Pas un havre, pas un refuge, juste un lieu neutre que j'ai toujours eu envie de conserver ainsi. Juste pour moi. Mais avec lui, c'est différent. Il est le remède à ma solitude dévorante. Lui, il a sa place ici. Naturellement. Comme son corps contre le mien, ses lèvres contre mon oreille qui me murmurent son désir. Me rappellent qu'il ne veut pas de capote. M'encouragent aussi quand j'hésite, parce que je ne veux pas qu'il soit mal à l'aise. Je sais quel inconfort peut engendrer une sodomie. Et les risques. Surtout quand on est pas préparé. Je suis médecin quand même ! En final, exaspéré par ma lenteur, il me saisit par les épaules :
— Je ne suis pas ingénu. Je ne suis pas fragile John ! Et je sais exactement ce que je veux.
Pour donner plus d'efficacité à ses propos, il guide ma main entre ses fesses, se cambre.
— Et je m'y suis préparé. Internet est un outil merveilleux pour faire des recherches sur des sujets en rapport avec le sexe. Un fois qu'on sait éviter les sites porno sans intérêt, il y a de nombreux blogs et forums qui expliquent, en détail et sans chichi, exactement comment procéder concrètement. Je ne suis pas innocent - Il m'embrasse avec une tendresse inattendue et répète encore – je ne suis pas fragile. J'ai envie de ça. Et pour l'instant, je suis juste...inexpérimenté. Mais tu sais à quel point j'apprends vite.
Je ne sais pas trop quoi dire et la franchise de ses propos me désarçonne. Distraitement, je lui caresse la joue. Je cherche les mots justes. Il secoue la tête avec impatience.
— John, John, John, on ne va pas y passer la nuit. Quoi que... Et avec un sourire canaille il ajoute : Je suis prêt. Mon hygiène est ok. La lubrification est ok – il guide ma main contre son anus pour illustrer ses propos – donc passe la seconde !
Et il me fait une démonstration très agréable de l'efficacité de son processus d'assimilation.

Après, tout n'est que chaleur et lumière.
Silence et cri.
C'est la première fois qu'il n'y pas de latex entre ma chair et la chair d'un autre. Les sensations sont brutes, directes. Sherlock apprend en effet très vite. Plus vite que moi. Je m'émerveille encore et toujours contre sa présence là, nu avec moi. Je sais qu'il m'offre une chose très précieuse. Mais, comme Sherlock est une personne très précieuse, la plus précieuse même, je ne m'angoisse pas. Prendre son temps.
Et quand, enfin, face à lui, lui devant moi, je vois l'orgasme qui l'emporte, je l'accompagne. La contraction de son sphincter autour de mon sexe est presque douloureuse. J'éjacule. En lui. Je me laisse aller contre son torse luisant de sueur dans la lumière douce de la lampe de chevet. L'odeur de sa transpiration, la moiteur de sa peau.
Je veux me souvenir de tout.
Le reflet dans ses yeux mi-clos, le noir de ses cheveux collés sur sa tempe claire. Chaque détail compte. Chaque détail contient notre échange. Et comme je ne comprends pas vraiment pourquoi avec lui c'est différent – mieux – je veux me souvenir.
Il m'enserre dans ses bras avec une force étonnante et m'embrasse, avec lenteur. Je réalise alors que l’absence de préservatif a un avantage supplémentaire, pas besoin de me retirer précipitamment pour éviter tout accident. Je reste là, juste à profiter de cet état post-coïtal flottant. Cotonneux. Je suis bien.

— John ? Tu m'écrases...
Sa voix m'ancre et de laisse derrière moi les nuages infinis. Ses bras m'encerclent et m’empêchent de bouger. Ses contractions n'auront de cesse de m'étonner. Il m'aide à basculer sur le côté, doucement, nos jambes toujours emmêlées, je sens mon sexe flasque être libéré de chaleur de son corps. Nos ventres gluants.
On reste ainsi longuement.
Ses doigts glissent sur mes joues. Je lui embrasse le bout du nez.
— Tu veux faire un brin de toilette ?
— Non. Je suis très bien ainsi. Son sourire s'élargit. Même si j'ai la désagréable impression d'être devenu incontinent.
— C'est un des avantages d'utiliser une cap...
— Nan !
— D'accord. Comme tu veux.
Sous le faible éclairage, ses cheveux paraissent d'un noir profond. J'observe la courbe acerbe de ses pommettes qui découpe des ombres étranges sur son visage. Il a quelques petites rides aux coins des yeux. Je me demande comment j'ai pu trouver une quelconque ressemblance entre lui et ce français. Peut-être dans son espièglerie hautaine...
— Dis, pourquoi tu as choisis de te faire passer pour un norvégien ?
Un frémissement dans son expression.
— Si tu ne veux pas en parler...
— Non, non. Il continue de jouer avec les poils de mon torse. Et ça me chatouille un peu. Je trouve juste que tes sujets de conversations sont très... romantiques.
Je secoue la tête et résiste à l'envie de lui claquer les fesses.
— Je connaissais les travaux de Sigerson. Et le norvégien est une langue peu usitée dans le monde, il est donc moins risqué d'avoir son accent reconnu. Et puis, je ne connaissais pas grand chose de ce pays. Apprendre la langue, l’histoire, les structures gouvernementale, le fonctionnement de la société, tout cela m'a occupé la tête quand je n'étais pas concentré sur Moriarty et ses sbires. Et puis, je me suis souvenu de ton conseil, sur l’utilité d'avoir des connaissances générales. J'ai pris le temps de vraiment m'immerger dans la culture norvégienne, de ses traditions culinaires à sa musique populaire.
Au fur et à mesure de ses explications, le débit de ses paroles augmente et je sens sa fierté à me démontrer à quel point il a été malin dans son apprentissage exhaustif.
— Tu as été là-bas ?
— Non ! Pour quoi faire ?! J'avais tout à porter de main.
Je soupire.
— Sherlock. Tu es vraiment un idiot parfois. Ça t'a pris combien de temps ? Deux ou trois mois ? Il acquiesce, soudain méfiant. En une semaine, quinze jours max sur place, tu aurais saisi toutes les spécificités propres à ce pays. Avec ta capacité d'observation et d'analyse, tu n'aurais eu aucun problème pour te faire passer pour un local. Tu sais capturer l’essence des choses dans les détails ! Et tu aurais économiser des semaines de recherche...
J'aime son expression, prise entre la satisfaction d'avoir son intellect reconnu et l'agacement. Il sais que j'ai raison. Il se contente de m'embrasser en réponse. Après un échange assez... revigorant, il me glisse:
— Tu vois, sans toi, je perds un temps précieux.

The head, the heart... and two bodies. Illustration de Anne Jacques



Chapitre 23

Nous avons somnolé.
Et puis Sherlock fut motivé pour remettre le couvert, désireux en élève modèle de me montrer ses talents. Cette fois, nous avons vraiment pris notre temps. Explorer l'autre, se renseigner sur ses préférences, discuter sans tabou, entre deux sessions de caresses et de baisers. Tout est si naturel avec lui... Une découverte qui s'est conclue par une douche avant de s'écrouler au lit, Sherlock blotti contre moi, un air tellement satisfait sur le visage que j'ai dû m'endormir en souriant.

Je suis dans cet état étrange entre la veille et le rêve. Je voudrais retourner dans les bras de Morphée. Quelque chose cloche.
Je suis seul dans le lit.

Pourtant je lui ai dit.
Je lui dis que oui, en général, la présence de quelqu'un dans un lit était un facteur de mauvais sommeil. Que je faisais parfois des cauchemars violents et que je préférais épargner mes partenaires. Ou, plus exactement que c'était très personnel, que je n'avais jamais eu envie de partager ça avec qui que ce soit avant. Mais là, c'est différent. Je lui ai dit qu'il pouvait rester s'il le souhait. Je lui ai même dit que j'en avais envie.
Et pourtant, je suis seul.

Le réveil indique 3h17.
La place contre moi est encore tiède. Tout est calme. La nuit baigne ma chambre. La porte est fermée. J'ai soif. La bouche un peu pâteuse. Je me lève, allume la lampe et vais boire directement au robinet du lavabo, dans la salle de bain. Où est-il bien passé ? J'hésite. J'ai envie de savoir ce qu'il fabrique. Je ne veux pas être intrusif. Nous avons toujours fonctionné en étant indépendant. Enfin, surtout moi. Je me frotte les tempes. Ça m'agace. J'enfile mon pyjama et sors dans le couloir.
Je manque de me vautrer la tronche dans l'escalier en glissant sur la robe de chambre de monsieur. Le satin glisse bien. Je me rattrape in-extremis à la rampe. Je peste. Lâche une ou deux insultes bien senties. Impossible qu'il continue de roupiller avec le bordel.

Le salon est plongé dans la pénombre. Sherlock est planté, nu, au milieu de la pièce.
Il se retourne vivement quand j'allume la lumière et se protège les yeux d'un geste rageur. Mes mains se crispent sur le tissu bleu qui a failli causer ma mort. Il est agité. Ses pupilles sont dilatées et il a la chair de poule.
J'inspire longuement.
— Ça va ? Tu n'arrives pas à dormir ?
— D'après toi ? Même moi je dors à 3 h du mat !
J'inspire de nouveau.
— Tu ne veux pas revenir te coucher ?
— Tu préfères dormir seul.
Je ne sais que répondre. Je crois que je préfère l'avoir à mes côtés. Mais je ne suis pas certain. Pas encore. Tout ça, tout ce qui se passe entre nous est si nouveau, si instable. Comme marcher sur une plage avec des sables mouvants. Chaque pas demande un effort de vérification, une attention extrême. C'est usant. Je me faufile derrière lui et pose la robe de chambre sur ses épaules tendues. Doucement, il oscille et se laisse aller contre mon torse. Lui aussi fait des efforts. Un peu de temps et les mots viennent, sincères :
— Je préfère savoir que tu dors à mes côtés plutôt que tu erres tout seul dans l'appart.
— D'accord.
Il ne fait aucun geste et n'as pas l'air de vouloir bouger. Son regard s'accroche quelque part dans la cuisine. Ou au-delà.
— Tu veux dormir dans ta chambre ?
Un mouvement imperceptible du menton. Et soudain, je comprends le problème. Sherlock n'a quasiment pas mis les pieds dans sa chambre depuis son retour. Maintenant qu'elle est rangée et prête à accueillir son occupant, il a probablement envie de regagner son confort. Je sens son poids basculer encore plus contre moi, s'appuyer franchement. Je me stabilise.
— Alors viens, moi, je tombe de sommeil.
Ce n'est pas tout à fait vrai. Son attitude m'inquiète un peu. Je pensais que ce qui s'était passé aller rétablir une sorte de normalité entre nous, je commence à réaliser qu'il faudra plus que coucher ensemble pour retrouver l'harmonie qu'il y avait avant. Sherlock est un être complexe. Et je ne suis pas le seul à avoir été blessé par les événements.
J'ai subi.
Il a choisi.
Néanmoins, il a souffert. Je le pousse gentiment. Arrivé devant la porte close de sa chambre, sa main hésite un peu. Il l'ouvre avec précaution et allume la lumière. Il se comporte comme s'il était en terrain hostile alors que dans la mienne, de chambre, il semble maître des lieux. Je secoue la tête et prends les devants.

Défaire le lit, attraper le fil électrique de la lampe de chevet, trouver l'interrupteur, éteindre le plafonnier qui m’aveugle. Je tapote les oreillers propres. Il n'a pas bronché, toujours à l'entrée de la pièce. Alors je m’écarte. J'ai oublié un truc en haut. Immédiatement, il m'attrape par le coude.
— Tu as dis que tu préférerais dormir avec moi.
Je dépose un baiser exaspéré sur son front.
— Oui. Et tu m'as l'air un peu énervé pour dormir. Je monte chercher le tube de lubrifiant.
Cette fois, un large sourire lui barre le visage.
— Pas besoin, tu en trouveras un sous l'oreiller. J'ai pris mes dispositions.
— Hun hunh ?
— Tu as raison, je n'ai plus vraiment sommeil en fait. Et j'ai envie de tester quelque chose.
Il s'approche et me susurre de douces propositions parfaitement indécentes. Malgré ma fatigue, une partie de mon anatomie réagit à sa voix basse, à moins que ce ne soit sa simple présence, soudain si proche. Il a les mains glacées. Et j'entreprends de le réchauffer avec zèle et exhaustivité.





C'est de saison !

18 décembre 2012

Sommeil, une nouvelle de Murakami Haruki, sombre et mystérieuse comme la nuit


Ce livre est un bijoux, un plaisir que l'on s'offre, solitaire et complexe. Ce texte de Haruki Murakami, assez court, intitulé Sommeil a été ré-édité avec des illustration de l'artiste allemande Kat Menschik. Voici le récit étrange de dix-sept nuits consécutives d'insomnie qui changent profondément la vie monotone d'une japonaise. Une épouse et une mère modèle, qui durant ces moments de liberté que l'absence de sommeil lui octroie, se souvient qu'elle est aussi une femme.


Le yin et le yang


Écrit à la première personne, avec ce style simple et elliptique qui caractérise l'écrivain, cette nouvelle est à la fois reposante et angoissante, comme la nuit. La dimension factuelle donne à l'histoire une froideur presque clinique, pourtant, dans le quotidien de cette femme, on entrouvre la porte de son cœur.

Aucune introspection, pas de sentimentalisme, et avec juste quelques détails, l'auteur arrive à nous transmettre la solitude poignante de la narratrice.
Le jour, elle accomplit les tâches ménagère, s'occupe de son enfant, de son mari, avec attention. Pourtant, l'amour qu'elle proclame semble vide, stérile. Elle est aliénée à cette vie, aux nécessités et aux corvées qu'elle accomplit comme un bon soldat, sans jamais remettre en cause son existence.

Une nuit, elle se réveille d'un cauchemar violent dont elle ne garde aucun souvenir. C'est fini, elle ne dort plus. Elle ne connaît plus la fatigue. Elle dévore des livres, se replonge avec délice dans Anna Karénine qu'elle avait découvert adolescente, avec un verre de Cognac et quelques carrés de chocolat. Elle déguste. Elle analyse, elle réfléchit. Elle profite. Elle s'interroge aussi sur cette vie bien rangée et sur l'absence surnaturelle du sommeil qui l'a un beau jour déserté.

Liberté et solitude

 Illustration de Kat Menschik
L'ambiance oscille entre l'énergie positive presque grisante de cette liberté nouvelle, et une lourdeur obscure avec la conscience aiguë que cette situation défit les lois du possible. La narratrice découvre ce qu'elle aime, prend plaisir à ses nuits qui deviennent sont espace-temps, son intimité. Pourtant, elle sait qu'il n'est par normal d’arrêter de dormir. Une angoisse sourde se distille peu à peu et teinte la magie de ce temps retrouvé.

Comme la nuit, la vie de la jeune femme devient merveilleuse et inquiétante, suspendue, et surtout, partagée entre le quotidien du jour, minuté, dédié aux autres sans pour autant avoir d'échange, et la vie nocturne où elle choisit son rythme, où elle s'écoute. Mais quel est le prix de cette liberté soudaine ? Quand les lois naturelles sont ainsi détraquées, tout peut alors arriver.
Les illustrations fantastiques de Menschik, sensuelles, aux compositions éclatées, épousent le texte et offrent une respiration, une image pour changer des lettres. Du bleu profond et de l'argenté pour varier du noir des mots.

Sommeil est un petit livre d'une centaine de page, son prix de 8,20 € peut donc sembler excessif. J'avais déjà la nouvelle parut dans L'éléphant s'évapore, mais cette version de l'éditeur 10-18 tient plus de l'ouvrage d'art que du roman. C'est un ouvrage réservés au amoureux de Murakami et surtout, aux amoureux de lecture, dont je ne regrette absolument pas l’acquisition !

Envie de plus de Murakami ? D'autres avis dans l'étang :
- 1Q84 tome 1, tome 2, tome 3
- Kafka sur le rivage
- Après le tremblement de terre
- Le passage de la nuit


 Illustration de Kat Menschik


15 décembre 2012

Protection, une fanfic sur la série Sherlock : chapitre 21 / 24




Liste des chapitres : 01 - 02 - 03 - 04 - 05 - 06 - 07&08 - 09 - 10&11 - 12 - 13&14 - 15 - 16 - 17 - 18&19 - 20 - 21 - 22&23 - 24 - bonus - épilogue

Cette semaine, à l'approche de Noël, je vous gâte, voici un second chapitre.
Si vous ne connaissez pas excellentissime série de la BBC "Sherlock", voici un article pour commencer.


Chapitre 21


Il faut quelques minutes pour que Mrs Hudson redevienne totalement cohérente.
Elle enlace Sherlock, s'éloigne en le tenant à bout de bras, éclate en sanglots, l'enlace de nouveau. Elle le réprimande vertement avec un vocabulaire que je n'avais jamais entendu dans la bouche de cette femme toujours élégante et toujours polie ! Puis, elle fond en larmes, fait tout une histoire sur son apparence maigrichonne, le bleu sur sa mâchoire, son air fatigué et ses traits tirés. Moi je trouve qu'il a quand même meilleur mine... Et, elle remet le couvert et lui passe un savon, lui répète en non-stop qu'il aurait dû au moins me prévenir. Je crois que c'est le moment où je commence à être vraiment mal à l'aise.
Être surpris en plein préliminaire par ma logeuse et amie est déjà franchement désagréable. Mais, la voir ainsi rudoyer Sherlock par affection, et surtout le voir lui, totalement incapable de s’extirper de la situation, ça me dérange. Il se raidit et me jette un regard proprement désespéré...
— Mrs Hudson ?! Je l'interpelle. Sherlock n'avait pas d'autre choix que de mourir aux yeux de tous. Surtout des miens. Avec Moriarty, c'était devenu inextricable. S'il ne l'avait pas fait, nul doute que je serais six-pieds sous terre, expédié au cimetière d'une balle bien réelle logée ici. Je pose mon index sur le milieu de mon front. Ça a le mérite de ramener son attention ailleurs.
Cette fois, ses mains agrippées aux avant-bras de Sherlock se relâchent avec lenteur. Elle recule et le regarde. Elle le regarde vraiment. Puis, elle me regarde aussi longuement. Ma respiration reste coincée dans ma gorge.
— Ha ! Excusez-moi, je n'avais pas eu autant d'émotions depuis des lustres.
— Asseyez-vous donc un peu...
Je la guide vers le fauteuil. Le sofa... c'est juste pas possible. Sherlock reste planté au milieu, toujours sous le choc, il a l'air secoué. Je m'adresse à lui, espérant l'aider à retrouve sa contenance.
— S'il te plaît, tu veux bien aller chercher un verre à liqueur dans la cuisine et la bouteille de Sherry ?
Je m'agenouille auprès Mrs Hudson, sa carnation est habituelle, elle a même les joues un peu rosie par l’esclandre. Un mouvement. Sherlock reprend vie, et chose miraculeuse, accède à ma demande.
— Il va bien ? Il est revenu pour de bon ?
— Oui. Ne vous inquiétez pas. Le problème a été réglé.
— C'est cet inspecteur que vous fréquentez parfois, Lestrade, qui m'a laissé un message ambigu.
Je l'ai regardé médusée.
— Ce n'est pas la première fois. Il y a quelques temps, nous étions un peu en contact quand votre santé était...
J'acquiesce. Oui, c'est bien du style de Greg.
— Et comme je n'arrivais pas à vous joindre – oui, je sais c'est idiot – je me suis dis qu'il valait mieux que je revienne.
Je sens que ce cher inspecteur a trouvé un moyen de faire payer à Sherlock son retour, avec une bonne dose d'humour. Je ne lui en veux pas. Le timing était mauvais, mais ça aurait pu être pire. Je n'ose y songer. Très vite, en regardant par dessus son épaule, elle ajoute en chuchotant :
— Oh, je suis vraiment navré d'avoir interrompu... vos retrouvailles. Je vais vite vous laisser tous les deux hein !
Je fais un signe vague de dénégation. Je n'ai pas confiance dans ma voix.

source : ? si vous l'avez, je suis preneur !

Je me suis tellement battu pour expliquer aux gens que non, je n'étais pas gay. Que non, non, non, Sherlock et moi ne formions pas un couple. Que non, c'était juste de la collocation. Juste mon ami. J'ai l'impression honteuse d'être pris en flagrant délit de mensonge. Pourtant...
Sherlock, souple et silencieux, se glisse dans le canapé et pose trois verres et une bouteille sur la table basse. Il s'installe confortablement et me scrute de ses yeux gris-vert impénétrables. Son expression est neutre. Je secoue la tête. Quel poseur parfois.
Je sers une bonne rasade d'alcool à Mrs Hudson et lui donne son verre avant de nous servir aussi.
— Jeune homme, dit-elle d'un ton qui ne laisse rien présager de bon, je ne sais pas quelles sont les raisons qui t'ont poussées à agir, mais sache que tu as fait bien du mal aux personnes qui te sont chères.
Sherlock se redresse un peu et elle tend sa main fine à la peau un peu ridée, aux ongles parfaitement vernis. Le geste coupe court aux protestations. Je sais que Sherlock a toujours respecté cette femme et leur relation dépasse largement celle cordiale d'une logeuse et son locataire. On dirait plus une tante sans enfant et un neveu aimant.
— Tu es ainsi, impétueux, égoïste et pourtant, très généreux quand tu le veux bien. Tu m'as apporté une aide que personne d'autre que toi n'aurais pu m'offrir. Et tu as encore plein de gens à aider. Je suis vraiment très très heureuse que tu sois de retour parmi les vivants. Mais ne t'avise plus jamais à remonter une pareille mascarade ! Jamais. Par respect pour les personnes qui t'aiment et s'inquiètent pour toi.
Contre toute attente, sous le regard perçant de Mrs Hudson et son sermon plein d'affection, Sherlock baisse les yeux et hoche vigoureusement la tête. Elle boit une gorgée de Sherry et reprend :
— Et puis, prends un peu plus soin de toi. Tu es maigre à faire peur. Comment vas-tu faire pour courir après les meurtriers si tu ne tiens pas sur tes jambes. Et le cerveau a besoin de carburant pour fonctionner. Bon, maintenant que tu es là, et que le docteur va te requinquer, ça ira.
Cette fois, c'est mon tour d'être soumis aux yeux évaluateurs de Mrs Hudson. Elle termine son verre et se lève.
— Je suis navrée de vous avoir dérangé. Mais la prochaine fois, fermez donc la porte !
Je la raccompagne jusqu'à l'escalier avec la ferme intention d'accéder à sa demande.
— Docteur Watson, s'il vous fait tourner en bourrique et que vous avez besoin de prendre l'air, vous pouvez toujours passer me voir !
Elle m'offre un sourire espiègle avant de disparaître avec une vivacité impressionnante pour une femme de son âge souffrant de rhumatisme.

Dans le sofa, Sherlock s'est recroquevillé. Il a pris sa tête entre ses mains. Un léger courant d'air. La porte est fermée. Je m'occupe aussi de celle entre la cuisine et le couloir aussi. Je retourne m’asseoir à ses côtés. Ou plus exactement, je me laisse tomber sur les coussins avec la légèreté d'un sac de sable. Je soupire :
— Bon sang que c'était gênant...

source : http://motherofdemons.tumblr.com/tagged/graphics


Un regard. De la compréhension complice. Évidente. Immédiate.
Et nos rires combinés emplissent le salon, chassent les derniers relents du malaise engendré par l'arrivée impromptue de Mrs Hudson. On se marre comme des collégiens qui ont chuchoté une blague salace dans le dos de leur prof. On se marre sans retenue, à en avoir mal au ventre. Enfin, après de longues minutes libératrices, les hoquets se calment. Sherlock reprend une contenance digne plus rapidement que moi. Je glousse toujours sporadiquement quand mes yeux rencontrent les siens, brillants. Vivants.
— Gênant ?! Je ne te connaissais pas si habile dans le maniement de la litote, déclare Sherlock, la voix encore teintée de son rire de gorge. Ses doigts effleurent les miens, et puis, il me prend la main avec une fermeté assumée. Je crois que je ne me suis pas senti autant embarrassé depuis mon adolescence. Merci d'être resté aussi calme...
Son sourire radieux vole les mots de ma bouche. Je reste un instant à le contempler, avec un air probablement ahuri. Je déglutis :
— Le pire c'est l’aplomb avec lequel elle a assimilé la nouvelle. C'est vraiment une femme d'une force peu commune et j'ai toujours tendance à la sous-estimer. Je suis navré qu'elle t'ait enguirlandé de la sorte. Je resserre un peu la pression sur sa main avant de l'attirer dans mes bras. J'amorce juste le geste et il vient tout contre moi.
— Je le méritais plus ou moins. Je n'avais pas encore pensé à la façon dont j'allais la confronter.
Je suis surpris.
Il a tellement tergiversé avant de revenir. J'aurai cru qu'il avait échafaudé un plan détaillé, une feuille de route précise. Je réfléchis un instant. Son comportement avec Carmine. Il a profité de cette rencontre pour médiatiser son retour. Ce manque de prévision colle avec sa confusion, les craintes qu'il m'a révélées.
— En final, c'est plutôt une bonne chose. Et puis – je l'embrasse juste au coin des lèvres – ça aurait pu être largement pire. Beaucoup, beaucoup plus ennuyeux.
Il glisse ses mains sur ma taille et acquiesce.
— Je la remercierai demain pour son timing alors.
Mes protestations sont étouffées avec efficacité. Juste au moment où je songe qu'il serait judicieux de monter dans ma chambre, mon téléphone toujours en charge sur le bureau, se met à vibrer.
— Merde !
Sherlock est plus rapide. Le temps de lâcher mon insulte, il se lève et décroche.

Quelques secondes de silence suivi d'un « non, c'est Holmes ». Il me regarde avec une attention vive. Et le monstre dans mon ventre gémit sa frustration. Marre des interruptions. J'ai envie de balancer le smartphone contre le mur, ceinturer le foutu détective et l'amener de gré ou de force à l'étage. Pas très civilisé comme pulsion. Mais j'ai eu ma dose d'émotions pour la semaine ou même le mois.
— Merci... Je transmets à John l'utilité de ses corrections et ton approbation générale. Une pause avant d'ajouter sur un ton cinglant : Mrs Hudson a écourté ses vacances à la suite d'un malentendu. Elle qui se réjouissait tant de pouvoir quitter Londres pour quelques jours, c'est bien dommage. À l'avenir, j'espère qu'elle ne sera plus importunée...
Je lui arrache le téléphone des mains avant que cela ne dégénère. Une engueulade par jour. Pas plus.
— Greg, merci pour tout !
— John, navré d’appeler aussi tard, je viens juste d'achever la lecture. Le doc est parti en fumé. Je ne te retiens pas plus, j'entends ton revenant qui râle. Bonne soirée.
Je prends congé avec politesse alors que Sherlock part, boudeur, se rasseoir dans le canapé. Il saisit son verre de Sherry, oublié jusqu'alors sur la table basse. J'éteins mon mobile et l'encourage à faire de même. Il me toise avant de déclarer, avec suffisance, que c'est déjà fait depuis bien longtemps. J'encaisse. L'accro au web et aux réseaux qui me dispense une leçon de politesse. Il m'aura tout fait.
Enfin pas tout...
Justement...




source : http://retro-vertigo.deviantart.com/

14 décembre 2012

La vie qui s'accroche

... parce qu'elle est partout.

La fin de l'année s'étire inexorablement, dans une certaine confusion.

J'ai le cœur lourd de Japon, de mots et d'images, de projets qui calent et d'autres qui émergent, encore fragiles et incertains comme une jeune pousse.

Et le quotidien, matériel, concret, me rattache au sol, fermement. 





La tête trop pleine. Envahie. J'ai envie de calme, d'arbre et d'eau. Le remède magique pour évacuer, vider.

Laisser couler.




12 décembre 2012

Protection, une fanfic sur la série Sherlock : chapitre 20 / 24


Liste des chapitres : 01 - 02 - 03 - 04 - 05 - 06 - 07&08 - 09 - 10&11 - 12 - 13&14 - 15 - 16 - 17 - 18&19 - 20 - 21 - 22&23 - 24 - bonus - épilogue

Encore quelques chapitres avant la fin de l'histoire ! Encore merci à tous ceux qui me suivent :)

Si vous ne connaissez pas excellentissime série de la BBC "Sherlock", voici un article pour commencer.


 Chapitre 20


Sherlock est avachi dans le sofa. Par habitude, j'ai allumé la télé, en fond sonore. Je la regarde peu, juste les informations et parfois quelques séries stupides pour me vider la tête. Sans Sherlock pour vociférer, regarder des trucs nazes n'avait plus aucun charme. Je me suis installé dans le fauteuil, le nouveau, les jambes étirées devant moi. La nuit est tombée. Il n'est pas très tard. Je suis surpris que Mrs Hudson ne m'ait pas téléphoné. Je me souviens alors que mon smartphone est déchargé. Je l'ai laissé dans ma veste. Ou peut-être dans la chambre ?
— Tu vas où ?
Sherlock s'est relevé subitement. Je secoue la tête.
— Je reviens. Juste charger mon téléphone.
Il est à vif. Plus que d'habitude. Je l'ai toujours connu d'un naturel agité, à part quand il cogite et qu'il suspend littéralement toutes ses autres fonctions, sauf celles nécessaires à sa survie. Mais là, c'est différent. Peut-être qu'il a vraiment besoin de parler. Même si c'est pénible. Soudain, je comprends que le long récit de la veille m'a allégé. C'était difficile, mais là je me sens mieux ; ma thérapeute avait peut-être raison sur ce point. Une fois que c'est sorti, ça va. Je n'avais juste pas envie de me confier à elle.

Je reviens dans la pièce. Il a changé de position. Il s'est assis avec les genoux repliés, littéralement encastrés sous le menton. Il est presque recroquevillé sur la gauche du canapé. J'hésite et choisis de m’asseoir à ses côtés. Immédiatement, il se détend. J'ai l'impression d'entendre le son de son corps, de ses articulations qui se dénouent, se relâchent. Je passe un bras autour de son épaule et, il vient se lover contre moi. Ce geste est si naturel, si juste...
Moi aussi, je sens une veille tension refluer de mon épaule, de mon bras gauche. Dans un murmure, Sherlock lâche :
— Je t'ai dis que je répondrai à ta question ce soir.
Je resserre un peu ma prise, m’installe confortablement. Le poste de télé émet une lumière dansante. Il a coupé le volume.
— Il n'y a aucune obligation. Cependant, si tu a envie de m'expliquer, je t'écoute.
Il lève ses yeux trop clairs, hésite et se tourne vers moi.
— Ce n'est pas très glorieux. Après la disparition de Moran, j'ai continué de chercher si je n'avais pas oublié une personne dans l'équation. Je voulais être certain qu'il n'y avait plus de risque. C'était ennuyeux. Je n'avais plus grand chose pour enquêter, j'avais épuisé maintes fois toutes les pistes, éclusé les indices, envisagé toutes les possibilités. Je voulais être certain, tu comprends ? Vraiment certain !
J'acquiesce. Je résiste à l'envie de glisser ma main dans ses cheveux. Si je le touche, je perds le contrôle du monstre.
— Comme j'avais de plus en plus de temps libre, la vie est devenue de plus en plus... déplaisante. J'ai recommencé à consommer des produits pour pouvoir dormir. Manger. Et puis, j'ai lu ton blog, demandé plus régulièrement de tes nouvelles à Molly. J'ai même quelques fois sollicité mon frère. Il fait une petite grimace comme s'il avouait un crime odieux ou qu'il se souvenait d'un truc nauséabond. Je crois que c'est à cette période, dans les cinq à six mois après le décès de Moran que j'ai commencé à aller... pas très bien...
Il se détourne, je le vois s’abîmer dans la contemplation du plafond. J'attends la suite. J'avoue que je ne sais pas trop où il veut en venir, rien de ce qu'il m'annonce n'est nouveau. Avec son caractère, ce n'est pas surprenant que s'adapter à une autre identité, étrangère qui plus est, serait difficile... Le silence s'étire jusqu'à devenir lourd. À voix basse, il reprend :
— J'ai compris que pour toi, j'étais mort. Tu avais ta vie.
La phrase tombe comme un couperet ; sa finalité me gêne. Elle me renvoie dans la figure mes velléités de deuils. Ma propre perversion à refuser d'abandonner la douleur de son suicide. Mon refus d'avancer. C'est maintenant qu'il est là, chaud et vivant contre moi, que je peux le reconnaître.
— Molly a plusieurs fois sous-entendu que tu arrivais à avoir des relations stables ; de plus en plus durables. Tu m'échappais, John.
Il inspire profondément.
— Je sais que c'est idiot ; je t'ai perdu quand j'ai sauté du toit. Mais je ne pensais pas survivre. Je ne pensais pas retrouver Moran et m'en tirer vivant. Je suis un excellent détective, je me débrouille en arts martiaux mais, face à un soldat, un mercenaire, je ne fais pas le poids.
Je le regarde, ébahi. Ce n'est pas l'accès de modestie qui me choque. Je n'en reviens pas qu'il dise, ainsi de but en blanc, ses limites, ses craintes.
— John, pourquoi crois-tu qu'on fonctionne si bien tous les deux ? Tu as des qualités qui s'accordent avec les miennes. Moran te ressemblait, ta morale et ton humanisme en moins. Bref, j'ai eu la trouille.
Il me jette un coup d’œil rapide, presque craintif, avant de nouveau d'admirer la peinture craquelée dans un coin au dessus de sa tête. J'ai entendu quand il m'a dit hier qu'il ne pensait pas s'en sortir contre Moran ; je n'avais pas réalisé qu'il pouvait se lancer dans une bataille où l'intellect ne serait pas décisif. Pour moi, la guerre est tactique, certes, mais physique aussi. J'ai toujours su que Sherlock avait des failles dans sa communication avec les autres, mais c'est con, je n'avais pas pensé à des faiblesse plus terre à terre... En même temps, il délaisse tellement sa santé...
— J'aurais aimé m'occuper de ce type personnellement...
— Oui, ça aurait simplifié les choses.
Il sourit tristement.
— J'ai failli revenir quand j'ai su que tu avais eu des relations avec... enfin, que ta sexualité avait évolué, mais comme tu semblais toujours décidé à te trouver une épouse et fonder une famille...
— Hein ? Je n'ai jamais spécialement...
Mon éclat de voix a le mérite de faire frémir sa commissure des lèvres. Et cette fois, enfin, il me regarde.
— Je sais maintenant. J'avais peur. Je me suis trompé. J'avais peur d'affronter ce que j'avais créé en disparaissant. J'avais peur de te blesser encore plus. Peur qu'il n'y ait plus de place dans ta nouvelle vie...
Il a parlé sur un ton monocorde, syncopé, comme la voix artificielle de l'horloge parlante qui récite sans comprendre. Et là, je sais que tout est sorti.
La place de Sherlock dans ma vie est comme ici à Baker Street. Elle est réservée, existante, qu'il soit là ou pas pour l'occuper. Je suis parti d'ici pour cette raison. Je ne supportais plus son absence, inscrite par tout, dans chaque m² de l'appartement. Je suis revenu parce qu'ailleurs c'était pire. Une solitude infinie, pernicieuse. Au moins, ici je savais. Je connaissais le terrain. J'avais circonscrit la zone insupportable. Sa chambre. La salle de bain du bas. Le reste, je pouvais survivre.

Je l'attire contre moi, dans une étreinte qui me rappelle celle de la veille. Ça tombe bien, le monstre de mon ventre est pour. Il rugit.
— Prend toute la place qui te chante – je sais que je regretterai ses mots dans quelques semaines ou quelques mois – je veux juste que tu sois heureux. Tu m'as tellement manqué...
— Mais tu ne m'écoutes pas ? ! Il se redresse, et me toise. Mon bras glisse sur le dossier du canapé. J'ai pris des mauvais décisions. Je me suis trompé. Plusieurs fois. Et je n'arrivais plus à faire machine arrière.
Sa voix vacille.
— Chut. Je t'écoute. Je ne fais que ça.
— C'est la lettre... C'est la lettre qui m'a fait revenir. Cette foutu lettre. J'ai eu tellement peur...
Il se ressaisit, et maintenant il y a une fièvre dans son regard, une colère dans cet horizon gris-vert. Je me demande ce que j'ai fait pour le contrarier. Je m'écarte un peu.
— Tu réalises ? Est-ce que tu réalises à quel point j'ai été lâche, John ?!
Et voilà, je me fait engueuler.
— Tu es mon seul ami. Et j'ai été incapable de...
Sa voix enfle comme l'orage. Ce tonnerre n'est pas pour moi. Ce n'est pas ma tête qu'il va foudroyer. Alors, pour éviter qu'il ne raconte des conneries, je l'embrasse. Sans douceur. Parce que je suis un peu en colère aussi. Contre cette attente insensée qu'il m'a infligé, qu'il s'est infligé ; contre sa faiblesse, et la mienne.
Je l'embrasse. Je le mords. Je l'envahis. Et dans mes bras, il hoquette, s'accroche à mes épaules. Gémit. Ses mains sous mon t-shirt. Dans mon jean. Sa peau contre la mienne. J'ai envie de sa peau. La chaleur de sa langue dans la ma bouche, sur mes lèvres, dans mon cou. Plus bas, ça risque l'auto-combustion. Vaguement, je me dis qu'il doit être toujours vierge. À moi. Envie de lui.

— Docteur Watson ? Je suis rentrée ! J'ai eu des nouvelles assez étranges, et je n'arrivais pas à vous joindre au téléphone... Tout va bien ?
La voix de Mrs Hudson résonne dans le couloir.
Nous nous figeons, horrifiés. Juste le temps de reculer, remonter le pantalon de Sherlock qui s'accroche sur son érection. Il tente frénétiquement de reboutonner mon jean quand la brave femme entre dans la pièce.
Un cri de surprise
— Ho mon dieu !!! Je suis navrée.
Elle se détourne. Et puis, la vision doit prendre son sens. Alors, tout aussi vite, elle virevolte et nous regarde, bouche bée. De l'hystérie dans la voix :
— Sherlock ? Oh mon dieu ?! Sherlock c'est bien toi.


Illustration d'Anne Jacques