9 mars 2016

En dépit de Fukushima, retourner au Japon



Dimanche, le 13 mars, je repars au Japon. Je repars pour cinq semaines. Mon dernier voyage, en 2012 était étrange, motivé par des raisons professionnelles, court, épuisant, teinté de nostalgie et aussi d'un avant-gout de ce que mon retour la-bas pourrait être un jour. Un jour, après avoir pris le temps nécessaire à la réflexion et surtout à l'assimilation, à l'acceptation du choc du 11/03/2011.

La rupture


Cinq ans déjà qu'un terrible tremblement de terre suivi d'un tsunami a ravagé le Tôhoku et que sur les décombres fumants et les cadavres enfouis, une catastrophe bien plus terrible a marqué terre et océans de son poison invisible. Cinq ans déjà que le silence, les mensonges du gouvernement, de Tepco, le déni face à l'horreur d'une partie des Japonais mais aussi de certains étrangers vivants là bas, se sont peu à peu cristallisés, solidifiés. A force de répétition, façon méthode coué, ils deviennent une autre réalité, qui fait fi des conséquences mortifères.
L'histoire est ré-écrite, malgré les cris de certains médias, certains lanceurs d'alertes, d’associations et bien sur, des habitants des zones contaminés, de ceux qui savent, parce qu'ils tombent malades et que leur proches meurent, que la réalité vendue par le gouvernement et les puissants est un leurre fatal.
Le Japon se prépare à la grande illusion mercantile des jeux olympiques qui célèbrera des valeurs de compétitions, d'argent, de faibles et de forts, le tout sous des atours fallacieux de solidarité internationale, d’amitié, d'émulation.

Cinq ans qu'un séisme a ravagé mon cœur et dans ma tête, m'a lié à d'autres humains, m'a donné le plaisir de rencontres merveilleuses, enrichissantes, profondes. Des cendres radioactives, peu à peu, je me suis aussi réagencée l'intérieur, reconstruit l'âme et mon amour pour le Japon. Je n'étais jamais été béate d'admiration devant ce pays. Maintenant, je suis devenue très lucide, assez pour dire que si j'aime certains aspect du Japon, que je regrette et m'attriste de nombreux autres, probablement plus nombreux même que ceux que j'apprécie.


 

Lâcher prise


Après le 11/3/11 je suis passée par de la colère, du désespoir, du désarroi, tellement de colère que ça en a frôlé la haine du gouvernement, des grandes entreprises, des principes de société qui broient l'individu. Et puis, j'ai fait le deuil de ce qui n'existe plus. Le deuil de mes illusions sur les humains, sur leur capacité à sublimer leur égos et leurs petits intérêts personnels pour apporter du réconfort aux autres. J'ai été déçu par certains, et aussi, surprise par d'autres. J'ai décidé d'abandonner regrets, impuissance et combats vains.

Aujourd'hui, j'ai trop pleuré.
Pleuré pour des enfants que je ne connaitrais jamais. Des enfants à naitre et des enfants à mourir, à devenir malade par le gâchis de leur parents, de toutes une génération d'humains - dont je fais partis - responsables par leur inertie et leur goût du confort, de choix qui conduisent à l'épuisement irrémédiable des ressources.

Aujourd'hui j'ai réfléchi, changé certaines choses, accepté d'autres.
J’apprends chaque jour à lâcher prise, à choisir mes combats, à assumer mes responsabilités, y compris celles ô combien difficile de mes émotions, j'ai appris à m'éloigner de la violence, à soigner ma parole.
Depuis cinq ans, j'accomplis un voyage intérieur, long, parfois pénible, souvent très solitaire, parfois désespérant. Pourtant, je continue, certaine que chaque jour, les instants de bonheur pour moi et pour mon entourage se multiplient. Qu'ils sont plus nombreux que la veille.
Un long chemin vers l'humain.


 

Un autre voyage


Je sens que ceux qui s'attendait à une description précise de mon itinéraire, des lieux à visiter, de mon enthousiasme et mon impatience pour mon départ prochains sont déçus, ou ont probablement arrêté leur lecture, se demandant pourquoi je leur parlais de trucs qu'ils préfèrent ignorés ou qui leur paraissent sans rapport avec l'annonce de retourner au Japon.
Où je vais, ce que je vais faire, sera important quand j'y serai, dans le présent.
Là, ce qui m'importe, c'est pourquoi j'y retourne.

Bien sûr, j'ai réservée mon billet d'avion et certains des logements, pour ne pas dormir à la belle étoile. Cependant, mon voyage se fait sans les préparatifs qui semblerait de mise. Ainsi, je vais à Takamatsu, au festival d'art contemporain de Setouchi (mer intérieure) sans même avoir lu le descriptif des iles concernées. Je me suis prise trop tard pour loger sur Naoshima. Mais ce n'est pas grave. Je n'ai pas encore décidé des visites que je ferai avec La Moustache, lorsqu'il me rejoindra pour la fin du périple (Kyoto - Miyajima - Matsue - Tottori - Kyoto).
J'ai le temps.

Surtout, je sais que ce sera formidable car je n'ai aucune attente. Pas de course à la quantité de souvenirs à engranger. Pas de courses au plaisir, pas de course à faire. Juste l'acceptation de ce que je croiserai. C'est difficile à expliquer pour ceux qui partent pour la première fois, ou pour qui un voyage au Japon est une sorte de grand rêve, de récompense.
Difficile d'expliquer mon attitude sans paraître désinvolte.


Je pars pour éclaircir mon regard, épurer mon cœur, nettoyer mes sens, vider ma colère, me détacher de mes jugements.
Je pars pour trouver des mots sensations, des mots magiques à attraper, à apprivoiser et à offrir à ceux qui les voudront. Je pars pour transformer mon regard, le fixer sur des photographies, gouter l'inattendu et m'en enthousiasmer
Je pars pour moi.
Je pars pour La Moustache. Pour partager un peu de ce qui me fascine avec ce compagnon qui me supporte depuis dix-sept ans et qui a vu le Japon débarquer inopinément dans ma vie et prendre une place incroyable.
Je pars pour tout ceux qui seront curieux de suivre à distance images et mots que je sèmerai ici et sur les réseaux sociaux. Je pars pour ceux qui sont intrigués par le Japon.

Ce Japon sans qui je n'aurai pas tisser les liens avec l'écrasante majorité de mes amis et connaissances. Ce Japon sans qui je ne connaitrais pas Anne, mon amie peintre, Virginie, qui s'occupe du design du blog, Matthias et Emma, qui m’accueillent, Mai Lan (tout est ta faute), Aurore, partie en Asie, Jérôme qui m'a empêcher d'être broyée vivante quand j'étais rédac chef... et tant d'autres, comme Teresa, unis par une même compassion. Ce Japon qui surgit parfois, avec ceux que je connais depuis longtemps, avant que je ne "tombe dedans" et renforce encore les liens d'affections.

Et puis, je pars aussi pour retrouver Paris. Parce que prendre de la distance aide à mieux apprécier ce qu'on ne voit plus.






Ces photos ont été prise en février 2012 à Tokyo, à Minami Senju, une heure avant mon départ pour l'aéroport et mon retour en France.

Le titre de cet article largement inspirée de celui de l'ouvrage d'Eric Faye, Malgré Fukushima que j'ai chroniqué ici.

4 commentaires:

  1. Beau texte. Je te souhaite de belles rencontres, de belles trouvailles, on devrait tous pouvoir partir avec cet état d'esprit. Mais ça ne peut s'acquérir que quand on a le luxe de partir plusieurs fois, car au début c'est normal, on veut tout voir, tout découvrir, tout faire.
    Je suivrais ton voyage via le blog, car si j'ai voyagé, je n'ai pas encore pu aller au Japon, bien que ce pays m'attire beaucoup. Je sais que ne parlant pas la langue, il faudra que je prépare soigneusement le voyage, au contraire de toi :) Car je ne connais pas assez pour ne pas passer à côté de choses si je ne fais pas ce travail en amont.
    Bon voyage!

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    1. Merci pour ton commentaire ^^

      Mon premier voyage, en 2009 a été court, une dizaine de jours à Tokyo (en squatt, c'est une habitude) correspondait à un périple pour beaucoup. Je suis du genre très lente. En 2010, je suis repartie, toujours à Tokyo, toujours en squatt et cette fois, j'y suis restée un mois. Certains diront qu'une semaine à Tokyo c'est trop long, moi, en un mois, j'ai juste apprivoisée la ville.
      Tout dépend du rythme. Je fonctionne à pied, cela prend du temps.

      Quand à la langue, je baragouine assez pour dire quand je suis perdue mais pas toujours pour comprendre les explications. Parler la langue aide, mais ce n'est pas une nécessité comme l'a prouvé Florent Chavouet avec Manabeshima http://etang-de-kaeru.blogspot.fr/2011/02/manabe-shima-lile-aux-voyages.html

      Quand on sait pourquoi on part, on adapte ses plans de voyages. Et le plaisir est toujours au rendez-vous ! J'espère que dans un avenir pas trop lointain, tu pourras toi aussi y poser tes orteils.

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  2. Marianne, beau texte ( ce qui est beau est bon , comme disent les Japonais)j'ai parfois l'impression que j'aurais pu l'écrire presque de la même manière. Cette année je suis retourné à Tokyo, après ne plus être retourné depuis 32 ans. Mon premier voyage était une belle découverte qui m'avait permis de sillonner le pays pendant 2 mois du Nord au Sud, En 2011 je pensais que je n'y retournerais plus jamais. Je reste cependant conscient que les conséquences ne font que de commencer, et j'ai découvert le mois dernier que nombreux de mes interlocuteurs Japonais étaient duals : Optimistes publiquement et pessimistes en privé.

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    1. Beaucoup de Japonais en effet ne sont pas dupes.

      Être pessimiste est fatiguant, épuisant même. Surtout, ça ne donne pas envie à l'interlocuteur de nous écouter et nos mises en garde jouent sur la peur et non la responsabilité de nos actions. Or, quand on fait un truc parce qu'on craint les conséquences, les punitions, le regard de l'autre, on le fait sous la contrainte.

      L'être humain n'aime ni les contraintes ni les exigences. Et quand a ceux qui détruisent, en pleine conscience, le seul moyen d'action est la loi. Sinon, on s'épuise à la lutte.

      Et puis, être optimiste, optimiste réaliste hein, pas naïf ou crédule, c'est bon pour la santé. En tout cas, c'est bon pour la mienne.

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Marianne