21 juin 2016

Call Boy de Ishida Ira, une lecture qui bouscule



Ryo, 20 ans, traverse les jours sans que rien ne l'atteigne vraiment, depuis le deuil de sa mère alors qu'il était encore enfant. Son quotidien se trouve chamboulé par la rencontre avec madame Midoh, une femme élégante et mystérieuse qui va lui proposer un emploi inattendu : prostitué de luxe.


Prostitué par hasard, ou presque


Call Boy (éditions Philippe Picquier) s'ouvre le cauchemar récurrent de Ryo. Il revit encore la dernière fois où enfant, il a parlé avec sa mère. Cette dernière matinée, avant qu'elle ne disparaisse à jamais. Ryo est censé être étudiant, il sèche surtout les cours avec assiduité. Rien ne l'intéresse vraiment, ni son travail de barman, ni son avenir, ni ses amis avec qui il entretient un rapport distant, ni même les filles. Il évolue avec une zone de tampon entre lui et le monde, lui et les autres. Un jour, par le truchement de Shinya, un copain escort-boy dans le quartier chaud de Shinjuku, il rencontre une femme nettement plus âgée que lui, madame Midoh.
Cette dernière le recrute pour un travail très lucratif et totalement illégal : call-boy, prostitué de luxe. L’attirance de Ryo pour les femmes mûres le motive à tenter l'expérience. Même s'il a besoin d'argent pour payer l'université où il ne va jamais, il semble mue plus par une espèce de curiosité blasée que par vénalité. Le sexe l'ennuie mais cette femme pique son intérêt. Le voilà bientôt évoluer dans ce monde aux codes étranges où il sert de son corps des femmes de tout âge, mariées ou célibataires, et les aide à assouvir leurs fantasmes souvent réprimés. Pas matérialiste pour un sous, Ryo n'a que faire de l'argent. D'ailleurs il continue de travailler au bar et de ne pas assister à cours. Il tait sa nouvelle activité à Shinya et Megumi, une camarade lui donne scrupuleusement ses notes.
Sous cette apparente indolence, Ryo s'éveille littéralement avec la prostitution. Madame Midoh, glaciale et inaccessible a su déceler en ce jeune homme le charme sous les atours de normalité. Une autre vie commence pour Ryo, avec de nouvelles perceptives et de nouvelles personnes : Sakura la muette, protégée de madame Midoh, et Azuma l'éphèbe.

Au cœur du désir féminin


L'étrangeté de Call Boy est d'aborder la sexualité de manière crue sans jamais tomber ni dans la pornographie, ni même dans l'érotisme. En effet, derrière la sensualité des rencontres, l'attitude toujours ouverte de Ryo désarçonne. Même dans les cas les plus bizarres, les plus déviants, il ne juge pas sa cliente, accepte ses demande et surtout, cherche à faire éclore le désir que parfois elle ne parvient pas à exprimer. Call Boy évite l’écueil du catalogue des pratiques bizarres en se concentrant sur les réflexions et les sensations de Ryo.
La mise en place de l'histoire est assez lente, c'est au milieu du livre que le récit prend son envol et sa puissance. Le roman change alors de ton, et propose un voyage dans l'intime des femmes, avec pudeur et sans jugement. Il questionne le désir, sa diversité, sa fluidité, comme un concept presque insaisissable et pourtant d'une grande simplicité, une fois écouté. Ryo s’adapte, s'améliore et continue son apprentissage du métier qui se transforme alors en une quête initiatique. Il cherche à comprendre un langage des corps qui fait abstraction du genre, de l'âge, des différences sociales, s'émancipe de tout préjugé et libère la femme du joug social.
La prostitution devient alors pour Ryo plus qu'un échange et ce qu'il reçoit est plus que de l'argent : il devient le confident, l'ami d'un moment de ces femmes, celui qui apprivoise leur désir, celui qui leur permet de se révéler, de parvenir à l'extase. Avec cette complétion, lui aussi, trouve dans le sexe, les femmes et la vie, le sel qui manquait à son existence depuis le décès de sa mère.
Le texte prend une tournure presque philosophique, avec un équilibre entre narration, description et réflexions.

Voyage dans des eaux subversives


Call Boy propose plusieurs niveau de lecteur. Les amateurs de roman qui apprécie une bonne histoire et un style marqué ne seront par déçu. Les curieux de Japon, non plus. Cependant, le livre, par son sujet sulfureux et son traitement presque idyllique, peut déranger. J’avoue que cette vision très propre et consentante de la prostitution masculine a de quoi choquer. Ici pas de yakusa, pas de jeunes paumés. Au contraire, madame Midoh donne une place aux jeunes hommes qu'elle sélectionne, une zone d'expression et d'existence.
Ishiada Ira avec talent et simplicité croque des personnages complexes, faussement lisses. Ryo, s'il reste avide de découvrir et de servir ses clientes, n'arrive pourtant pas à lire les signes que lui envoient ses proches. Son attirante pour les femmes plus âgée, clairement liée à sa mère, est d'une perversion affirmée sans jamais virer dans le glauque ou le voyeurisme d'un Ryu Murakami. Ici, le lecteur n'est jamais spectateur malgré lui, mais plus le témoin d'une ouverture et d'une appréhension de la vie, dépouillée de tout jugement, de tout tabou. Subversif à souhait !
Cette lecture d'une grande force, remue, remet en cause ses certitudes.
Ici pas de leçon, pas de dénonciation, juste une belle histoire, écrite d'une langue fluide et douce. J'étais impatiente de retrouve Ishida Ira, après le succès de la trilogie d'Ikebukuro West Gate Park. Je n'ai pas été déçue. Mon seul bémol est la proximité psychologique entre les héros de ces deux œuvres. Même si, Call Boy est nettement plus intimiste.



Le roman a été écrit en 2001. Dommage d'ailleurs qu'il ait fallu attendre 15 ans pour qu'il sorte en France. La physionomie de Tokyo a bien évolué depuis. A l'époque, le Japon était encore sous le double le choc de l'éclatement de la bulle immobilière et de la crise de 97 qui a fragilisé l'économie de l'Asie et fait flamber le chômage. Le quartier de Shibuya s'est depuis assagit, même si la sexualité au Japon reste toujours très éloignée de la notre. Par exemple, il existe de nombre clubs d’hôtes où tout est permis, tant qu'il n'y a pas de pénétration vaginale (là, on tombe sous la législation de la prostitution). La particularité de Call Boy est double : L'histoire évolue dans le milieu du luxe, peut-être par souhait de l'auteur d'éviter le sordide. Le travail de Ryo est présenté sans aucun violence faite au prostitué. La violence est ailleurs : dans le deuil, dans le carcan social, dans l'impossibilité de communiquer entre certains humains...
Call Boy n'a pas de vocation documentaire et même si j'ai parfois douté de la véracité des situations ou du réalisme du milieu dépeint, cela reste secondaire. Le propos est avant tout de traiter de liberté, par l'angle de la sexualité, même si, Ishida Ira glisse quelques remarques au vitriol sur la société de consommation.



Article sur la trilogie Ikebukuro West Gate Park

17 juin 2016

Hudros de Patrick Rimond, photos de béton et d'eau




Je vous parle aujourd'hui d'une pépite de bleu, de vert et d'ocre : un livre de photographie au format paysage. Il nous fait voyager dans des paysages étranges, totalement déroutants. Pourtant, il s'agit de clichés pris dans le sud de la France !

L'exotique du paysage commun


Sous le titre mystérieux d'Hudros sont assemblées trente photographies de Patrick Rimond sur un projet particulier. Il a travaillé pendant plusieurs mois avec comme sujet les canaux qui partent de la Durance et du Verdon pour alimenter les villes de Marseille et Toulon. Il propose sa vision, onirique et abstraite, de ces lieux d'eau, de béton et de pierre, noyés sous un soleil écrasant. La lumière crue découpe les arrêtes vives des édifices et trace des ombres tranchées. La couleur de l'eau oscille entre un gris laiteux et un bleu-vert transparent, presque tropical. Parfois impénétrable, solide, d'autre fois si claire que sa profondeur semble nous purifier, elle change sans cesse alors que le paysage, lui, demeure parfaitement figé dans la rigueur utilitaire d'une construction humaine.



Hudros est mot grec désigne l'hydre, le serpent mythologique avec sept têtes qui se régénèrent et se multiplient une fois tranchées. Ici, c'est la seule lame est de lumière. Elle découpe les bords des canaux dans des compositions toutes en rectitudes et en lignes droites, tantôt brisées pour tracer une géométrie mystérieuse, tantôt infinies, fuyantes à l'extérieure du cadre. Le serpent d'eau dans un camaïeux de bleu se faufile de page en page. Parfois, une courbe se glisse dans une image, pour casser le rythme. Elle évite la monotonie et éveille l’œil dès qu'il commence à s'habituer, à lire des récurrences. Entre les ocres, les gris et les bleus, des touches de vert-jaune d'une végétation méditerranée apporte une touche de vie à ce minéral.

Poésie de l'image et rencontre avec le regard de l'autre


Patrick Rimond propose un voyage dans un quotidien qui pourrait paraître inintéressant et morne. Son regard le sublime, le transforme en un ailleurs exotique, aux dimensions multiples, fantastiques. Il invite à une contemplation où on perçoit en contre-point du silence, le chant discret de l'eau et son mouvement fluide.


Voici un livre de très belle facture, édité par la petite maison Iki que j'apprécie déjà pour sa collection du Pont Rouge. Les livres de photographies sont, comme la poésie, souvent boudés par les lecteurs. Pourtant, quand il s'agit d'un ouvrage qui correspond à notre sensibilité, on peut sans cesse y revenir au fil des années. Intemporel, ils sont autant de fenêtre à la fois sur l'extérieur à travers les yeux d'autrui mais aussi sur notre monde intérieur. Quand un tel bouquin me plait, j'ai l'étrange impression qu'il rentre en résonance avec une partie de moi, qu'il m'invite à prendre aussi mon appareil photo et ma plume, qu'il m'invite à épanouir ma créativité, à affuter mon regard et à me tendre vers l'autre pour rencontrer sa différence. 




En feuilletant pour la première fois Hudros, j'ai immédiatement été séduite par sa proposition artistique, sa façon de montrer ce paysage, les angles choisis, le travail de couleur, entre uniformité et contraste.
Vous laisserez-vous séduire ?

Site de l'auteur :
http://patrickrimond.com/hudros.html
Information sur le livre (feuillable) :
http://lepontrouge.net/?page_id=15

15 juin 2016

Ceux qui ternissent l'arc-en-ciel [journal #4]

Artiste : Monsieur Q


Dimanche, il y a eu le massacre d'Orlando. J'ai éteint la radio. J'ai refusé le flux d'information parce que ça fait trop. J'ai continué ma vie.
Lundi, voir une exposition d'estampe et de gravure avec une amie. Gaver mes yeux de beauté. Rencontrer des artistes, me connecter aux autres, à des personnes avec qui je partage un intérêt, une sensibilité.
Mardi, levée 7h pour bosser à l'atelier. Un espace de co-working où je tente de briser les mécanisme de procrastination. Au programme, avancer sur le tri des photos du voyage au Japon. Préparer un article sur un photographe.
Puis soudain, je n'ai plus pu.

Trop de haine.
Toujours trop de haine.

J'ai beau me boucher les oreilles, détourner le regard, concentrer ma lorgnette sur ces petits choses magiques de l'existence, rien n'y fait. La saloperie crasse du monde finit par brouiller mon regard, affadir les couleurs. Ternir l'arc-en-ciel.
Malgré tous mes efforts, les protections sautent et encore une fois, je me trouve à vif. L'insupportable repousse les limites, encore et toujours. L'humain s’étripe, s'entre-tue, bafoue liberté et amour. L'humain s'aliène seul, choisit sans l'admettre la voie de la violence et du rejet.
En guerre contre soi, en guerre contre les autres, ceux qui vous ressemble un peu.
Parce que quand on se déteste, qu'on discerne dans l'altérité un trait commun, une complicité avec son moi profond, la haine de soi parle et s'exprime dans le sang.
Parce que quand on se déteste et qu'on ne voit dans l'altérité, que la différence et la diversité, l'illusion de bonheur menace de se dissiper. L'équilibre fragile qu'on entretient à grand coup de déni, vole en éclat.
Vite, il faut alors anéantir tout danger. Exterminer cet autre qui vit comme on le souhaiterait ou comme on ne comprend pas.
Détruire l'autre pour ses différences ou ses ressemblances.
Détruire l'autre, toujours et encore. Sans faillir. Sans réfléchir. Sans jamais s'interroger sur la justesse et la légitimité de ses pensées et de ses actions. Sans réfléchir à leurs conséquences. Se remettre en cause serait un chaos insondable. Ne pas réfléchir, rester un individu monolithe, solide, intouchable. Devenir sa foi. Devenir un idéal pour se détacher des contingences humaines. Pour regarder les autres de son piédestal de croyances et jeter des miettes de son savoir à ces mécréants idiots qui se vautrent dans la fange du péché.

Quelle triste vie, étriquée et petite, de ceux cloitrés volontairement dans leur psaumes et leur crédo...
Quelle triste vie dans l’extase du fanatique qui masque la peine d'être humain, mortel, faillible, imparfait.
Quelle triste vie, de gris et de noir, plongée dans la lumière si aveuglante d'un idéal impossible.
Quelle triste vie, insensible à autrui, à la diversité surprenante du monde, autant de chocs et d'ondes joyeuses qui sans cesse nous secoue, nous agite.
Quelle triste vie loin de la danse et des étreintes, loin des transports d'amour et d'affection si communicatif lorsqu'on tend ses antennes, qu'on ouvre son cœur en acceptant que l'autre ne fonctionne pas comme nous, ne ressent pas comme nous, n'a pas les mêmes valeurs, la même culture, la même éducation, les mêmes souhaits.

Quelle triste vie quand la conception même de l'existence est de mourir pour accéder à un ailleurs dont jamais personne n'est revenu témoigner.
Quelle triste vie...

Pourtant, je n'ai pas assez d'amour en moi pour tendre la main à l'humain qui seul, s'arroge le droit du juge et du bourreau et massacre cinquante autres hommes. Cinquante hommes dans un lieu de joie, de fête, de partage, de musique, de mouvement. Un lieu vivant.
J'ai juste envie de crier : si les autres t'insupportes, si leurs différences t'insupportent, part seul, loin. Ou mets fin à cette existence, et ne fais chier personne ! Mieux, réfléchis à ce que tu es, à la cause de ta colère et de ta haine face à ceux qui sont nés homosexuels ! Ces garçons dans ce club assument - au moins le temps d'une soirée - une préférence sexuelle déjà pas évidente à porter, dans notre société. Pour la simple raison qu'elle est minoritaire, donc hors de la norme habituelle, et encore trop souvent perçue comme aberrante.

Fais en sorte de te changer TOI et laisse les autres vivre.
Si la pluie te dérange, tu peux t'abriter, mais tu ne va pas te mettre à exterminer les nuages ?!
Si le soleil brille trop, tu te fous des lunettes de soleil, de la crème bronzante, où tu sors ton ombrelle. Mais tu ne vas pas avoir l'idée que le soleil est LE problème a ERADIQUER !
Non ?
Si tu es assez fou pour le faire, tu sais aussi que tu signes l'arrêt de mort de la planète.

Les autres humains sont comme la pluie et le soleil. Sauf qu'eux, on peut les tuer.
Sauf qu'eux, on peut les blesser si fort, si profondément qu'après, l'arc-en-ciel se ternit...
Leur origine, leurs mœurs, leur sexe ne te convient pas ?
Passe ton chemin, ignore-les. Si tu as le courage, cherche en toi la raison de cette colère. Mais, je t'en conjure, laisse donc chacun vivre avec sa couleur, son individualité, sa différence, ses richesses, ses faiblesses. La violence, qu'elle soit avec les gestes ou les mots, ne changera ni ton incompréhension ni tes craintes.
À vivre dans un monde uniforme, on dépérit peu à peu.

Je ne connais personne qui ne soit ému, un jour, enfant ou adulte, du spectacle éphémère d'un arc-en-ciel. Il enjambe champs, maison, fontaine, forêt, béton. Je ne connais personne qui, sous ses couleurs profondes d'une pureté merveilleuse ne puisse reste sourd à la beauté sauvage de ce qu'il ne maitrise pas. La juxtaposition de teintes profondes et pourtant si différentes crée justement la magie et la beauté.
Nos couleurs de peau sont moins diversifiées et moins fun que l'arc-en-ciel. Par contre, nos différences à l’intérieur sont infinies. D'une incommensurable générosité pour qui sait les contempler.
Apprend à regarder.
Apprend à te regarder et surtout à t'aimer.

Extrémistes de tous poils, fanatiques fêlés, fissurés de l'empathie, vous n'aurez pas ma colère. Vous n'aurez même pas ma tristesse et ma compassion que je réserve aux victimes de vos actes. Homophobes bien pensants, manifestant pour « Tous » adeptes d'une morne norme, vous n'aurez rien de moi. Juste un peu de mon temps et mon énergie, quand sans cesse, après votre passage dévastateur, j'irai encore une fois, sans jamais me lasser, raviver les couleurs de l'arc-en-ciel bafoué.

(et je m'y connais en couleurs)

Merci beaucoup à Monsieur Q pour l'autorisation d'utiliser un de ses dessins :)
Son projet de journal en ligne : https://carnetdunamoureuxtropmaigre.wordpress.com



13 juin 2016

Petit renard, de Nicolas Gouny, une invitation automnale pour découvrir le monde




Dans la forêt, un petit renard curieux s'éloigne de sa maison et part fureter, histoire de voir ce que le monde lui réserve. Il renifle, il découvre, il rencontre d'autres animaux. Un peu timide, un peu trouillard, petit renard joue et apprend.

Les feuilles mortes comme pinceau



Petit renard est un album réalisé avec un assemblage de dessins, de feuilles mortes et de brindilles séchées. Si tout a été fabriqué en numérique, le résultat est bluffant tant on croirait des illustrations traditionnelles avec des « vrais » collages de feuilles. On retrouve la sincérité parfois maladroite et imprécise d'un dessin touchant par ses imperfections. 

L'histoire tout simple mais pas simpliste, laisse la place à l'imagination. D'ailleurs, la dernière page est une invitation à la création que j'ai beaucoup apprécié. Comme je tends à collectionner cailloux, coquillages et plantes séchées dès que je vadrouille, l'approche du livre ne peut que me séduire ! 
J'ajouterai qu'il est édité chez Balivernes, une petite maison familiale qui fait un travail de fabrication très soignée. 



Nicolas Gouny, l'illustrateur champêtre qui raconte la nature


Le travail de Nicolas Gouny séduit par son style très particulier, naïf, presque enfantin. A l'heure des lignes graphiques épurées à l’extrême et des aplats parfois d'une froideur implacable, Nicolas utilise l'outil informatique pour un rendu chaleureux, hésitant, et terriblement humain. Il y a dans les rondeurs, les angles et les couleurs une poésie intime et une incitation à créer, à inventer.

Petit renard est le premier ouvrage de cet auteur que je chronique ici, pourtant, j'admire ses travaux depuis des années. Il commercialise aussi avec sa compagne des bijoux et de la papeterie illustrés de ses merveilleux personnages, ou fleurs et d'arbres ou de petits animaux. Sa boutique porte le nom évocateur de « la parenthèse enchantée » :
 

Les dessins de Nicolas ont une magie incroyable : ils font du bien, tout simplement. Ils donnent de la joie, de la tranquillité, l'envie de sortir et crapahuter en forêt, dans les champs, dans les arbres, sous les pierres, sous les étoiles. L'envie de regarder de nouveau le monde avec l'enthousiasme d'un enfant. 

Sa bibliographie est longue et je ne doute pas que dans la liste, vous trouverez votre bonheur :







Entretien avec l'auteur au sujet du Petit Renard :
http://livredelire.com/petit-renard-sort-de-sa-taniere-avec-nicolas-gouny-une-interview-exclusive
Un portrait en vidéo : http://la-charte.fr/dans-les-petits-papiers-de/article/nicolas-gouny

9 juin 2016

David Vong, le dompteur d'arbres


David Vong en action : https://vimeo.com/123281701



Au hasard des rues de Paris, j'ai découvert une galerie qui expose pour une courte période (jusqu'au 19 juin) les œuvres de David Vong, jeune artiste dessinateur, peintre et aussi plasticien. En vitrine, des peintures et sculptures d'arbres. Un sujet qui me fascine toujours.

Les racines de l'émotion


David Vong devant "Duel"
En poussant la porte de la galerie Gare de Marlon j'ai été saisie par la force de cette multitude de dessins soigneusement alignés sur le mur. Durant un an, entre 2012 et 2013, chaque jour, David a croquer un arbre ou plus exactement, sa vision d'un arbre. Une représentation souvent abstraite mêlant inspiration, humeur du moment, et contexte. Il se dégage de ce classement chronologique des séries non intentionnelles, révélatrices d'instants marquant de la vie du jeune homme. 

Autant d'images qui renferment ses souvenirs et ses émotions. Un dessin très particulier a été retiré pour être affiché à part, dans une autre salle. Ce blanc, ce trou dans l'assemblage a une signification : ce jour-là David a appris que sa compagne était enceinte. Alors, l'arbre née de cette nouvelle est tout petit, tout rond, un peu perdu au centre de sa feuille. Une promesse de vie à venir et aussi un constat : face à cette annonce, l'artiste se sent minuscule.
Si l'observateur, lui, lit d'autres histoires, d'autres inspirations, d'autres émotions aussi, quelque chose se transmet dans la sincérité du travail et aussi dans la grande force de la constance de l'acte. Dessiner, chaque jour, une année durant, sans jamais faillir, demande une motivation impressionnante. 



David Vong : Harmonie

 

La forêt infinie


Si des récurrences apparaissent, j'ai été époustouflée par la diversité de l'approche. David explore toute les dimensions, tout les thèmes : il y a des arbres fleuve, des arbres fleurs, des arbres oiseaux en lévitation, des arbres méduses, des arbres architectures, des arbres design... Toutes les formes possibles et impossibles se côtoient, l'une contre l'autre, en un grand panneaux immense. Une proposition où humour, poésie et surréalisme dialoguent, se chamaillent et se réconcilient. 

David dessine et trace avec des traits précis l'infinie diversité des arbres de son imaginaire. Il peint aussi des grands formats à l'huile ou l'acrylique. Toujours des arbres mais cette fois, avec un travail de couleur merveilleux et doux.

Alors, vous aussi, vous souhaitez adopter un arbre de papier ?
Galerie Gare de Marlon : 19 rue de la Verrerie, Paris


Site de David Vong :
http://www.davidvong.com
http://arbredujour.tumblr.com



7 juin 2016

Parfois, on n'y arrive pas

(Comme un lundi)

Parfois on n'y arrive pas.

Parfois on a un coup de mou, plus rageant qu'un coup de genou.
Parce que tout est là, tout se tuile bien. La vie sourit et patati et patata.
Ben, quand même, on n'y arrive pas...

Le soleil se pointe, fait danser la poussière du monde dans un ballet incessant.
Un parfum de lilas, 
un envol à tire d'aile, 
un rire d'enfant.
Rien n'y fait.

Comme un insulte à l'incommensurable beauté de la vie, 
un pied de nez aux bons conseils. 
On n'y arrive pas. 


Quand même, laborieusement, on avance. 
Pour avoir bonne conscience.
On raye avec méthode et précision 
les lignes de la liste infinie de l'avenir qui s'empile. 
Pas de sensation du devoir accompli. 
Pas de soulagement.

Une vague nostalgie. 
Une vague amertume.
Faiblarde. 

Comme si rien n'y arrive. 
 Même pas la méchante humeur ou la déprime. 

Même elles jettent l'éponge. 
Elles jettent leur dévolue sur des âmes plus propices à leur charmes pélagiques.



On a envie de tout envoyer balader, 
nos passions, 
nos gris-gris,
 nos rituels et nos manies. 

Tout mettre en orbite. 
Loin de soi, mais pas perdu non plus.
  À porté de main pour le moment opportun. 

S'alléger un peu. 
Se dépouiller, 
pour voir si on pourrait léviter. 
Croire un peu. 

Nous aussi, à tire d'aile, dans un rire innocent, 
sur un rayon diaphane d'or et de paillettes, décoller d'ici. 
Dans une fragrance fleurie. 
Voir ailleurs si j'y suis. 



 Photo prises à Kyoto, parc de  Katsurazaka, mars 2016

3 juin 2016

Exercices pratiques [Journal #03]



Date : 31 mai 2016
Lieu : TGV Quelque part entre Nice et Canne

La semaine s'achève.
Une semaine d’exercice pratique avec la plus terrible des épreuves : rester zen alors qu'une personne aimée appuie inconsciemment sur tout vos boutons déclencheur de colère, d’énervement et de frustration. Une semaine avec comme alliés, le soleil, les chaussures de rando et le lien avec les amis, jamais bien loin sur la toile et bien-sûr La Moustache, toujours aux aguets, même à mille kilomètres.

Une semaine à alterner entre introspection et fatigue. 
Une fatigue si grande qu'elle laisse place au renoncement, autre adjuvant précieux pour travailler le lâcher prise. 
Diagnostiquer les causes de l'agacement, les décortiquer, découvrir les mécanismes sous-jacents est jouissif pour l’intellect mais n'aide en rien à ralentir les pulsations effrénées du sang dans les veines, la tête tantôt lourde tantôt cotonneuse, la sensation angoissante d'être à vif, de perdre pied.

Se voir de loin, se dédoubler. Se regarder depuis l'autre côté de la pièce. Contempler cette personne qui s'agite, qui provoque, nage à contre-courant, ne lâche pas le morceau, trop gros pour elle, et peut-être sans aucun intérêt.

Il est des batailles qu'on gagne en refusant de les mener.

Alors, si encore une fois, je suis tombée dans le piège du combat stérile et vain, qui ne fait que blesser les participants sans rien résoudre, j'ai quand même réussi à en esquiver certains et en abandonner d'autres, en cours de route.
Parfois faute d'adversaire.
Parfois, consciente de leur inutilité et de leur ridicule.

J'apprends à poser des limites. J'apprends aussi à accepter quand elles sont piétinées. M'énerver n'aide pas à résoudre le conflit et me fait du mal.
J'apprends à revenir, à réfléchir sur l'importance et la nécessité de la limite, à la déplacer si nécessaire et parfois, à reconstruire la protection, à signifier son existence à l'autre. À l'autre qui l'a ignoré. J'apprends à expliquer les causes de la limite, son utilité, pourquoi j'en ai besoin.

J'apprends à me préparer à un énième affront, à une énième attaque. À décider de la stratégie d'évitement qui sera la meilleure. J'apprends à me retirer, me décaler, à lâcher, toujours et encore

Le bilan de la semaine d’exercices pratiques est encourageant. Je suis en forme, reposée. Le soleil du dehors, parfois dangereux dans son enthousiasme, brille en dedans aussi. Il aide mots et projets à pousser, à sortir de moi.

Des heures de marche dans la ville sale où je suis née. Découvrir des escaliers abandonnés au miasmes d'urine et aux canettes vides, à chercher les points de vue sur la mer, les fissures et les cactées. À imaginer ma mère, enfant maigre d'une dizaine d'années, jouer avec ses amis, alors que le monde se déchire et que le pire génocide de l'humanité s’opère méthodiquement dans le silence ignorant. Elle s'aventure, avec son petit frère, hors du Passage-Grégoire, grimpe sur la colline et s'amuse des heures durant. Un autre monde, un autre siècle. Soixante dix ans s'écoulent et la colline disparaît sous le béton, les 4x4 et les grillages des résidences luxueuses marquent le monde et le cloisonnent. Il ne reste que les souvenirs de ma mère, ceux qu'elle me transmet. L'écho fragile de sa présence dans la ville alors que de nombreuses autres se sont déjà éteintes.

Alors, malgré les difficulté et la douleur des exercices pratiques, je retourne à Nice.
Je continue d’engranger ces moments présents et passés qui ne m'appartiennent pas vraiment.

Je n'ai pas d'enfant. Je n'en aurai pas.
Aujourd'hui, je réalise avec stupeur et émotion que j'ai pourtant besoin moi-aussi de transmettre cette vie, ces vies déjà achevées. Des morceaux, des fragments d'autrui, de ma mère, de ses amis, de mon père aussi, qui s'agencent dans mes textes, en sous-marin, qui me portent.

Je réalise avec des sentiments mitigés, à quel point ce que j’écris ici, ces quelques fils translucides d'une toile infinie, importent à mon être.

Alors, merci de les lire, de les recevoir et de les faire vôtre.
Pour cette fois, l’exercice pratique est terminé.

Je retourne sur le terrain connu de la capitale et laisse reposer la mer trop agitée.







1 juin 2016

Un étang de 6 ans qui grandit encore






L'année dernière, prise par l'écriture, j'avais laissé passer en silence l'anniversaire de mon blog. Des doutes s'accumulaient sur mes motivations à le continuer et surtout la sensation d'un manque d'adéquation entre mes aspirations et sa forme, me frustraient terriblement. Depuis le début de l'année et la refonte discrète mais profonde de l'étang, je retrouve l'évidence à écrire ici, que ce soit à partager mes coups de cœur culturel, ou des textes plus personnels, des billets d'humeur, des bouts de moi, de ma perception du monde.

La séparation maintenant claire entre mes activités journalistiques et personnelles, plus artistiques, me donne une grande satisfaction.



Pour vous, ou toi, si on se connait, lecteur derrière l'écran, peut-être que l'étang demeure inchangé. Une étendu d'eau douce, de taille modeste, où tu peux venir pêcher ou tremper les pieds, pour te prélasser quelques instants.

Pour moi, il a évolué d'un terrain d'expérimentation fluctuant et ludique, en un territoire organisé pour libérer ma créativité, toujours et encore, partager avec autrui ce qui me touche, mais aussi, de manière plus égocentrique, pour tester des modes d'écriture, aiguiser mon style, mon regard. Une sorte de test grandeur nature, en direct avec les lecteurs, avant d'attaquer le grand bain de l'édition avec mes rêves et mes aspirations.

Je ne suis pas encore tout à fait prête à m'y confronter.
Mais doucement, cela se prépare.

Si cet étang est le mien, que j'entretiens les berges, drague le fond parfois, veille à garder l'eau claire et la vie épanouie, il est aussi le votre. Une fois publié un article, je ne maitrise pas les opinions d'autrui, les émotions que les textes et les images suscitent.
La perception de l'autre alterne, déforme, transforme.

Je tends la main, propose mais mon rôle se limite là.
Sans toi, lecteur, pour me faire un high five complice, une caresse tendre ou une pichenette agacée (je me passe des coups de massue, merci bien), je ne suis pas certaine que j'aurai tenu sur la durée.

Je vous laisse dans la verdure d'une journée de printemps ensoleillé, sur les bords de Seine, du côte de Chatou.