2 septembre 2016

Eschatôn : la collision des dimensions - entretien avec le romancier Alex Nikolavitch



Eschatôn, roman de SF sorti chez Les Moutons électriques, s'ouvre comme un space opéra avec un vaisseau qui navigue entre les étoiles, empruntant une route bien tracée, sans risque, glissant à la vitesse lumière vers sa destination. Soudain, l'espace-temps se déchire et ça va être un beau bordel !


L’apocalypse. Et après ?


Avance-rapide. Les mondes colonisés par l'homme sont de retour à une structure politique et sociale moyenâgeuse sous la coupe d'une religion toute puissante. Elle a banni non seulement les machines et la mécanisation mais aussi toutes formes de sciences tel que les mathématiques jusqu'au calcul basique.
Dans cet univers-ci, surimposé à nos dimensions, il existe le Mental. Il est devenu possible de se déplacer à la force de l'esprit (comme dans Dune) d'une planète à l'autre dans d'immenses édifices de pierre. Pratique pour envoyer sur les mondes corrompus la grande armée de la Foi combattre les Puissances. Ces entités de tailles colossales et d'aspect peu ragoutant ont la fâcheuse manie d'asservir les esprits humains et de les transformer en drone. Ils deviennent alors des créatures téléguidés, sans volonté et subissent même d'horribles mutations physique. Toute communication entre humains et Puissance semblent vaines.
Le Saint Catéchisme est donc là pour nettoyer ce bazar avec à sa solde des soldats fanatiques menés par une hiérarchie loyale initiée au secret du Mental. Pratique pour mettre en transe les pauvres hères qui vont se faire massacrer. Wangren est l'un de ses soldats rompu à l’exercice. Mais cette fois, sur une planète hostile à la solde d'une Puissance, tout déraille. Il sort de sa transe avant même que l’assaut ne soit donné et le voilà, avec d'autres survivants, perdus, à la merci de l’ennemi.

Eschatôn - dont le mot dérive d'eschatologie, l'étude des fins du monde et de ce qui se passe après - est un roman surprenant dont l'histoire se déroule dans notre galaxie, après qu'une apocalypse ait modifié jusqu'à la nature de notre espace-temps et des lois physiques qui le régissent. Pour faire face au mystérieuses et terribles Puissance qui ravagent tout, l'humanité s'est tourné vers la religion. Ce sursaut de survie a exacerbé nos attitudes grégaires. Bien sur, l'existence d'une religion aussi forte s'accompagne d'une opposition farouche autour d'un groupe d'hérétiques. Si leur objectif est le même, libérer l'humanité du joug des Puissances, leur approche sensiblement différente vient compliquer le champs de bataille.


L'amour des mots (et des tentacules)


L'auteur, Alex Nikolavitch, manie les mots depuis des lustres : scénariste, essayiste, traducteur, conférencier... Pour son premier roman, il tisse une trame complexe, avec de nombreux protagonistes qui ressemblent furieusement à des personnages tout droit sortis d'ouvrages médiévaux ou même antiques. Les histoires parallèle s'imbriquent en une structure narrative solides qui alterne les points de vue. Peu à peu, on comprend les relations entre les forces en présence et surtout l'importance des enjeux. Eschatôn propose une galerie de personnages haut en couleur, jouant sur les stéréotypes avant de les étoffer ou de les détourner. Les camps s'opposent, les loyautés vacillent à mesure que les protagonistes comprennent ou tentent de comprendre la portée de leurs actions. Comme dans les romans de Lovecraft, Alex insuffle un vent cosmique en juxtaposant aux humains, fragiles et mortels, des créatures aux existences, envies et instincts radicalement différentes, rendant la communication quasi-impossible.

Si l'auteur avait assez de matière pour écrire une série, il a condensé le tout dans un oneshot très dense à l'écriture ciselée. Une des particularité du texte vient du choix du vocabulaire, très soutenu, en travaillant sur les sens figurés et les images évoquées qu'Alex détourne (comme avec mascaret et cantre) plutôt que d'inventer ses propres termes ou bidouiller l'existant. Il a aussi pioché dans le champs lexical religieux peu usité. La richesse des mots (qui demande parfois de consulter le dictionnaire) est accompagnée d'un style sans fioriture, factuel, précis, qui sert la rapidité de la progression de l'intrigue tout en campant à la perfection les ambiances. Les dialogues sont percutants et bien dosés. La narration bénéficie d'un découpage chirurgical avec une table des matières détaillée pour s'y retrouver.

Un premier roman qui dépote !


Attention, ce livre n'est ni simple ni facile à lire. Il ne s'agit pas d'une distraction prémâchée qu'on oublie sitôt la couverture refermée mais du genre de bouquin qui nous accompagne longtemps. De plus, il brouille les genres : il commence comme de la SF avant de basculer sur du médiéval dans un univers post-apocalype (au premier sens du terme) avec une dimension fantastique assez old school, le tout doublé d'une réflexion en filigrane sur des sujets triviaux tels que la religion, la science, le sens de la vie !
Eschatôn est taillé pour pour les amoureux de littérature et de roman d'aventure qui apprécient le fantastique bien ficelé avec une dimension épique et philosophique. Si l'histoire prend son temps pour installer, une fois au cœur de l'intrigue, la machine à suspens s'emballe et le bouquin devient impossible à lâcher.

Un seul bémol, j'ai trouvé la fin du livre trop précipitée dans la forme avec un nombre trop important d’ellipses qui m'ont déstabilisé. Cependant, j'ai adoré le dénouement qui m'a littéralement laissé sur le cul, secouée et sans voix. Après, on ramasse les morceaux, on pense à notre monde, à la naissance et à la chute d'empires et même de civilisations. On se sent bien petit. Et on songe qu'il n'est pas nécessaire d'ajouter des Puissances Lovecraftienne dotées de tentacules et de bouches avides pour que ce soit déjà un beau bordel ici bas.

Un premier roman incontournable pour les amateurs de littérature fantastique qui apprécient les ovnis à la forme soignée et au fond dense, original, qui déroute et secoue.


Entretien avec l'auteur, Alex Nikolavitch



Comment t'es venue l'idée de mélanger moyen age, science fiction et dimension extra-terrestres à la Lovecraft ?

Comme plein d'idées de ce genre, elle a grandi par accrétions successives d'images et de concepts qui se sont assemblés un peu à la manière de legos.
J'avais l'idée d'un truc de fantasy un peu bad-ass, mais qui soit en fait de la SF. Je voulais des menaces démesurées (bon, plus qu'une menace, à l'arrivée, mes Puissances sont surtout un arrière-plan dans la version définitive). Je voulais un système de pouvoirs mentaux qui tienne la route et soit cohérent. Et peu à peu, à chaque fois qu'on ajoute une idée au pot, il faut la relier aux autres, essayer de leur donner un sens global, sinon on n'a que ça : un empilement d'idées peut-être cool, mais qui ne fait pas une bonne histoire. L'arrière plan religieux fort, c'est un de ces liens émergents, qui est devenu une des lignes directrices.
Après, je sais que certains lecteurs ont été déçus que je ne sois pas plus Lovecraftien dans le ton et le côté angoissant. Mais Lovecraft, c'est aussi une conception purement matérialiste d'un univers d'où la transcendance est finalement absente. Et de ce point de vue-là, je pense être en plein dedans.

Pourquoi qu'un seul tome ? J'ai eu l'impression qu'il y avait de la matière pour plus.

Pour plein de raisons. Une raison pratique : c'est mon premier roman. Mais j'ai fait de la BD, et mon premier gros album était un truc ambitieux qui aurait dû se boucler en quatre tomes, mais qui n'a pas assez bien marché pour connaître une suite. Disons que c'est un traumatisme.
La deuxième est philosophique. Dès le titre, je propose un monde clos, bordé (Eschatôn, ce ne sont pas les fins du monde, mais plutôt ses limites dans l'espace et le temps, étymologiquement), avec un choc eschatologique au début et un autre à la fin, ce qui le rend cohérent sur le plan mythique.
Ça, ça me plaisait de mettre en œuvre une telle mécanique symbolique.
Après, la construction de l'univers tel qu'il est décrit (et détruit) dans le bouquin permet de faire quelque chose se passant ensuite. J'ai des notes là-dessus, mais je ne compte pas le faire tout de suite, je me donne le temps de la réflexion. Et de toute façon, si ça se fait, ce sera dans un ton et un type d'histoire très différent.

Peux-tu expliquer ton choix audacieux de juxtaposer d'un vocabulaire religieux de la chrétienté moyenâgeuse avec celui de la Rome antique ?

Notre propre langage est une juxtaposition de plein de trucs confits par le temps et l'usage : une base de latin cochonné par toutes sortes d'influences, un langage technique et savant qui vient du grec, divers fossiles linguistiques rigolos.
Si l'on se projette dans l'avenir, il y aura toujours ce genre de mix langagiers. Et ensuite, la chrétienté médiévale tapait à plein dans le langage de Rome (alors que le christianisme des origines parlait essentiellement araméen et grec) : Souverain Pontife, par exemple, c'est un titre impérial renvoyant aux fonctions religieuses et sacrées du César.
Tout langage n'est qu'un empilement donc ses usagers n'ont pas forcément conscience.

Petite question de tambouille interne : comment à tu-écris ? De façon chronologique, ou tu as rédigé par scène puis monté le bouquin après en fonction des point de vu ?

C'est très compliqué, pour le coup. Je procède à peu près comme en BD : j'ai un séquencier assez lâche, j'ai écrit le début très tôt, mais la fin relativement tôt aussi (habitude que j'ai prise en écrivant du scénario de BD, ça me permet de tendre le récit vers sa conclusion). Ensuite, je peux écrire dans le plus grand désordre, selon l'inspiration, ou les besoins de certains mécanismes narratifs (du buildup/payoff, notamment) et comme en cours de route, j'ai remanié en profondeur la structure du truc (la démultiplication des points de vue n'était pas du tout aussi poussée dans ma version initiale), ça a impliqué des phases d'écriture de scènes intercalaires et de déplacements de séquences entières.
C'est un vaste foutoir, ma méthode de travail. Le mot méthode est d'ailleurs peut-être complètement usurpé.

Quels sont tes principales sources d'inspirations et motivations pour l'écriture de ce roman ?

Plein de trucs, comme pour tout ce que je fais. Frank Herbert, pas tant pour l'arrière plan religieux que pour les jeux sur le langage et le point de vue.
Mes théories sur la structure des mondes mythiques. Mon expérience de l'aliénation due à la propagande et au conditionnement, et des façons d'y échapper ou de les contourner (j'ai vécu une partie de mon enfance dans un milieu assez sectaire). La SF en général, et surtout des gens comme Léourier, Moorcock ou Gene Wolfe qui mixaient les codes de la SF et de la Fantasy.

Un mot sur ton prochain projet de roman ?

Deux : "Peter" et "Pan".
Plus sérieusement, c'est une réinterprétation de l'histoire de Peter Pan. C'est pas très original (y en a eu des tas) mais j'ai un angle rigolo et un peu perché, avec un traitement de certains personnages qui, à force d'être décapant, leur redonne un lustre qu'ils n'ont pas eu depuis longtemps, je crois. J'espère.

Merci m'sieu. Voilà un pich bien prometteur !

Sa page sur le site de l'éditeurs Les moutons électrique :

Le blog d'Alex :

2 commentaires:

  1. Très bon article :)
    J'ai également vraiment aimé ce premier roman du sieur Nikolavitch !
    Je te laisse mon article si jamais tu veux le (re)découvrir : https://lafaquinade.wordpress.com/2016/07/23/eschaton/

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    1. \o/ super ! J'adore le ton de connivence de tes articles. Et puis, j'ai appris des trucs.
      Est-ce que tu as lu l'Ile de Peter ?

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Marianne